L'Eau en milieu de montagne : notions de potabilité, utilisations et précautions
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Les montagnes, des "châteaux d'eau" terrestres
Les montagnes, notamment les hauts massifs, sont considérées comme les châteaux d'eau douce des surfaces terrestres, tant par leur englacement relatif à l'altitude & la latitude et au signal climatique, ainsi que leur manteau nival qui assurent une rétention de la ressource et une plus longue distribution dans le temps. Il y a aussi une position de façade aux perturbations, une plus grande rugosité des surfaces qui retiennent plus longuement les nuages, ainsi qu'un gradient de précipitation en fonction l'altitude(température, pression). Ce gradient est variable suivant les massifs. Ainsi en Chartreuse, l'un des massifs français les plus arrosés, s'il tombe en moyenne 1200mm d'eau par an à Chapareillan (230 m), il tombe environ 1600mm à Saint Pierre d'Entremont (600 m) et environ 2400mm sur le Granier (neige rapportée à l'eau).
L'eau, une ressource importante pour les activités de montagne
L'eau est au cœur des activités de montagne. Sous forme solide, type cristaux de neige, elle est demandée pour les activités de ski, de raquette, et d'alpinisme (où elle peut être aussi glace). Sous forme liquide, elle permet l'approvisionnement estival des refuges, des bivouacs mais aussi les activités d'eau vive telle que le canyoning. Elle est aussi, accompagnée de l'acide carbonique, l'élément clé de dissolution des calcaires des systèmes karstiques qu'explore la spéléologie. Quelque soit l'activité, l'eau est une variable incontournable à prendre en compte avant toute sortie. A l'état gazeux, elle peut poser problème si le niveau de saturation dans l'air est atteint et que le brouillard gêne la visibilité. En cas d'orage, elle peut devenir un risque considérable, par l'accroissement de l'activité torrentielle.
En montagne, que l'eau soit présente ou non, il en est toujours question.
H20 dans tous ses états
L'eau n'est pas qu'une molécule H2O, elle est bien plus complexe. Chaque écoulement terrestre a des caractéristiques propres. On peut les résumer en deux types, de manière simplifiée et schématique :
- les écoulements de surface : ruisseau, torrent, lacs, mais aussi glacier etc...
- les écoulements souterrains : nappe phréatique, aquifère fissuré (granitique), réseau karstique, nappe alluviale etc...
Le point de jonction entre ces deux types d'écoulement est communément appelé source (sauf parfois quand c'est diffus, notamment en nappe alluviale)...Dans le cas de réseaux karstiques, on parlera d'éxutoire, ou de résurgence, suivant le contexte.
Passons maintenant aux caractéristiques de l'eau. Il existe différents paramètres pour caractériser une eau. Nous allons en présenter les principaux:
- la température, souvent variable en écoulement de surface mais plutôt constante en écoulement souterrain.
- la turbidité, c'est-à-dire la teneur en MES (matière en suspension) et en colloïdes (de taille plus petite que les MES, les argiles) souvent variable en écoulement de surface mais plutôt faible en écoulement souterrain sauf système karstique.
- la couleur, qui dépend de l'absorption de la lumière par les molécules dissoues
- la minéralisation globale teneur en ions majeurs et mineurs, variable en fonction des terrains traversés, en général plus élevée dans les eaux de surface.
- présence d'éléments spécifiques : fer, manganèse dissous, acide carbonique (CO2 agressif sur les métaux, réagit avec les roches carbonatés), oxygène dissous (corrosion), silice (granit), ammoniac, nitrates et micro polluants.
- teneur en MO matière organique (ex composés humiques) et en organismes vivants, de type microbiens (virus, bactéries, protistes (amibes) et vers, selon l'ordre de grandeur) pouvant être pathogènes selon les cas, et de type batraciens, poissons etc...
Tous ces paramètres jouent un rôle sur la qualité de l'eau que vous allez rencontrer en montagne. Si on prend par exemple une eau de fonte de névé de printemps dans le massif du Mont Blanc sur des dalles compactes à 2500 m d'altitude, sa température sera plutôt faible, sa turbidité sera faible, sa couleur plutôt transparente, sa minéralisation très faible et sa teneur en MO et en microbes assez faible aussi.
Comment juger la qualité d'une eau?
On définit communément 6 paramètres de qualité:
- organoleptiques : relatif au sens, couleur, turbidité, odeur, saveur. Le goût et l'aspect!
- physico-chimiques : le pH (acide ou basique), la température, la conductivité, teneur en chlorures, sulfates
- les substances indésirables : nitrates, hydrocarbures, phénols, fer, manganèse (pouvant être toxiques à long terme). Origines variées suivant les substances.
- les substances toxiques : métaux lourds, arsenic, plomb, chrome etc...(toxique immédiatement) pouvant être naturellement présents.
- les pesticides : très variés, suivant les époques, les doses admissibles doivent être très faibles ! D'origine humaine.
- microbiologiques : présence ou non de microbes (virus, bactéries, protistes et vers) pouvant être pathogènes (ex Escherichia Coli 0157:H7, celui communément générateur de gastro !)
Tous ces paramètres peuvent être représentés en montagne, variant considérablement en fonction du signal climatique, de la nature des terrains rencontrés, des activités concernées sur le parcours de l'eau, d'aléas extérieurs (éboulements, orages) etc..
Comment choisir son approvisionnement en eau en montagne ?
Sauf milieu karstique, l'eau de surface ne manque généralement pas en montagne. Toutefois, il convient de connaître quelques caractéristiques des eaux généralement rencontrées en montagne.Prenons quelques paramètres importants :
En fonction de la nature géologique des terrains rencontrés
Dans les massifs montagneux on rencontre généralement:
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les terrains cristallins et sableux il s'agit des terrains granitiques et cristallophyliens (gneiss, micaschistes) ou encore gréseux, sablonneux, quartziteux... On parle d'eau douce, c'est-à-dire faiblement minéralisée, mais souvent acide à cause de la teneur en silice. Les caractéristiques organoleptiques sont généralement faibles (peu de goût). Généralement peu turbide, sauf aléas (éboulement etc...) Peut contenir naturellement des substances toxiques comme l'arsenic ou l'antimoine.
ex le Mont Blanc, Belledonne, Grand Paradis, l'Oisans, l'Oberland etc.. -
les terrains schisteux, le plus souvent les calschistes, et autres terrains marneux et argileux. Ce sont généralement des eaux semi-dures, plutôt basiques et assez fortement minéralisées. Elles peuvent être très turbides (notamment en colloïdes) si les schistes sont friables et instables, et donc deviennent impropres à la consommation.
ex le Queyras, le Mont Cenis -
les terrains calcaires et dolomitiques, karstiques ou pas, conglomératiques ou pas, compacts ou fissurés. Ils donnent des eaux généralement dures, du fait de la dissolution des calcaires par l'action de l'eau et l'acide carbonique. Basiques, les eaux sont fortement minéralisées. La turbidité est très variable.
ex les préalpes, dolomites, Aravis. -
les terrains sulfatés, relatif à la présence de gypses ou autre évaporites de la même famille. Ils donnent des eaux très dures, du fait de la friabilité et la dissolution très forte de ces roches, avec une turbidité forte. La forte teneur en sulfate rend les eaux le plus souvent impropres à la consommation, sans compter le goût insupportable!
ex Cerces, Vanoise, Beaufortain. -
les terrains volcaniques, relatif à une activité récente ou passée. La qualité des eaux est en général très variable selon les cas. En cas d'activité récente, à cause de la poussière et autres dépôts, les eaux sont souvent très turbides et impropres à la consommation. La présence de soufre est généralement dissuasive, rien que par l'odeur d'œuf pourri et rend absolument inconsommable. Par contre, dans des terrains volcaniques anciens (Massif Central, Vosges), de type basaltique le plus souvent, les eaux de source sont souvent d'excellente qualité, car bien filtrées (claires) et bien reminéralisées. Pour les roches volcaniques recristallisées, dites "roches vertes", type prasinites, gabbros(Viso), serpentines (Avérole), elles se rapprochent des roches cristallophyliennes dans leur composition, à la différence qu'elles sont généralement moins acides.
Attention : certains massifs ont une géologie variée et complexe où les eaux rencontrent plusieurs terrains dans leurs parcours, devenant alors très complexe : c'est le cas en Vanoise ou dans le Valais.
En fonction des formes géomophologiques rencontrées
Prenons quelques exemples classiques pouvant jouer sur les caractéristiques de l'eau:
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les terrains glaciaires où domine la présence de glace. Les glaciers présentent des eaux "brutes", en bédières ou en point de sortie, généralement très faiblement minéralisées par le court temps de contact avec le substrat. En aval du glacier, par la présence de varves (argiles), de moraines actives, ces eaux peuvent devenir turbides et impropres à la consommation.
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les terrains péri-glaciaires où le gel est le processus dominant. La nature du substrat joue un rôle important pour la composition de l'eau. Les eaux de névés coulant sur les dalles cristallines sont généralement très faiblement minéralisées, de même pour les ruisseaux et torrents contenant des matériaux grossiers : les eaux coulent trop rapidement pour se minéraliser sur des rochers peu sensibles à la dissolution. À l'inverse, sur des terrains argileux, elles peuvent se charger très vite en sédiments. En cas d'aléas, d'éboulis récent, de poussières, de phénomènes gravitaires schisteux, l'eau peut devenir très rapidement turbide.
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sur les sources de versant ces eaux viennent d'aquifères fissurés pour le cas de roches granitiques, cristallophyliennes ou basaltique. A leur point de sortie, ce sont en général les eaux les plus favorables à la consommation directe. S'il n'y a pas d'activités particulières en amont, l'eau n'est pas contaminée, elle est bien filtrée et a eu le temps de se minéraliser. En aval de la source, on parle d'eau de surface, la qualité est donc très variable. La consommation se fait plutôt sur le point exact de sortie.
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les terrains karstiques ce sont des terrains spécifiques, où l'eau de surface est infiltrée dans un réseau souterrain dans la masse calcaire (perméabilité en grand). On ne rencontre généralement pas d'écoulements de surface sur un plateau karstique, d'où la rareté de l'eau (mais pas forcément rareté de précipitations, bien au contraire). La turbidité des eaux en aval du karst est très variable, en fonction des systèmes karstiques et de leur fonctionnement en réponse au signal climatique. Les contaminations en microbes et polluants ont un temps de réponse le plus souvent assez rapide, en fonction de la taille et de la fissuration du réseau. La consommation d'eau est assez aléatoire.
En fonction des activités rencontrées
La présence d'activité humaine peut modifier, voire perturber la qualité des eaux. Prenons quelques cas classiques:
- travaux de terrassement, construction Les travaux effectués en cours par des machines perturbent et déstabilisent les sols qui sont plus sensibles à la météorisation, au lessivage, et donc plus instables. Cela peut renforcer la turbidité des eaux.(ex terrassement de pistes de ski)
- présence agropastorale La présence de troupeaux domestiques a des conséquences sur l'eau en aval des alpages ou des systèmes karstiques en dessous des alpages. La présence d'urée (pisses) et de fèces (matières fécales) apporte de l'ammoniac dans l'eau et peuvent la contaminer en bactéries pathogènes (tels que l'Escherichia Coli, vient des matières fécales)
- présence d'un village ou d'un refuge suivant le cas, les nappes en dessous peuvent être polluées de diverses manières, et suivant le pays ou le lieux, les eaux usées peuvent être directement rejetées dans les eaux de surface en aval. La présence de polluant en tout genre, et de fèces (matières fécales) apporte des composés toxiques dans l'eau et peuvent la contaminer en bactéries pathogènes.
- cas plus spécifiques ça peut aller du cadavre d'un animal en décomposition sur le lit d'une rivière à des comportement peu scrupuleux de pratiquants, jetant toutes sortes de chose dans le lit, même leurs déjections. La contamination en polluants et bactéries pathogènes est tout à fait possible.
Comment le corps réagit-il à ces caractéristiques et comment y remédier ?
Bien entendu, cela dépend énormément du métabolisme de l'individu, de son état de santé et de son système immunitaire. Reprenons quelques paramètres de l'eau, le problème posé et voyons ce qui est possible :
- la température l'eau très froide peut crisper les muscles digestifs et occasionner des troubles de fonctionnement sans gravité, allant généralement jusqu'à une petite diarrhée. L'astuce est de réchauffer l'eau dans la bouche, en ne l'avalant pas directement.
- la turbidité, une grande turbidité rend l'eau impropre à la consommation. Elle est en général impossible à avaler car infect au goût et indigeste. Une turbidité nettement plus faible rend l'eau consommable à partir d'un certain seuil mais même à quantité faible, les bactéries peuvent se coller et proliférer sur les matières en suspensions dont les particules sont entourées des petits biofilms où elles se nourrissent. Des gourdes filtrantes peuvent supprimer les MES.
- la minéralisation globale en lien avec le paramètre précédent. Une eau très faiblement minéralisée, et donc peu turbide, n'est en général pas très digeste car il n'y a pas les sels minéraux permettant la digestion. C'est le cas des eaux d'écoulement d'altitude en substrat compact ou encore de la neige "brute". Cela peut occasionner des troubles de fonctionnement digestif sans gravité, allant généralement jusqu'à une petite diarrhée. La solution est de reminéraliser l'eau en mettant dedans des composés solubles comme des pastilles Vichy, des cachoux.
- présence d'éléments spécifiques : quelques métaux lourds, composés toxiques (arsenic, antimoine) peuvent être naturellement présents dans l'eau notamment dans les eaux siliceuses agressives (massifs cristallins) même à très faible dose. Les conséquences sur la santé ne sont pas visibles sur le moment et si l'exposition n'est que très ponctuelle.
- présence bactériologique une eau fortement contaminée bactériologiquement (alpage etc..) présente un risque de pathologie variable en fonction de la bactérie concernée. Le plus souvent il s'agit de gastro-entérites en tout genre, mais il peut aussi s'agir de céphalées, de fièvres. Le climat peut jouer un rôle important, les bactéries n'aiment pas le froid de manière générale, et bien évidemment dans les milieux tropicaux, les germes pathogènes sont plus nombreux et/ou plus virulents. Sauf exceptions, les bactéries n'aiment pas les pH acides (eaux agressives, siliceuses) ni les milieux secs. Le plus souvent, elles prolifèrent dans des eaux oxygénées à 20°c, fortement concentrées en sédiments sur lesquels elles s'accrochent, autour de biofilms dont elles se nourrissent. Plus la bactérie a un milieu riche, plus elle se spécialise à travers des cycles de démultiplications/mutations et plus elle peut devenir pathogène. Ce pourquoi dans les milieux tropicaux, même en montagne, le risque de contamination est important, alors qu'il est faible, voire très faible, en haute montagne froide cristalline de latitude moyenne. La solution reste ne pas consommer des eaux douteuses, ou encore si faute de choix, assurer la chloration de l'eau avec des comprimés à faibles doses (type hydro clonazone), ou encore avec des sels d'argent (type micopur) qui vont éliminer la majorité des bactéries présentes dans l'eau. À noter qu'il faut un certain temps pour que le produit agisse (au moins une heure), surtout si l'eau est un peu turbide, car en effet les bactéries peuvent plus ou moins se protéger en étant collées sur les matières en suspensions !
Conclusion : savoir anticiper le problème de l'eau !!!
La prise en compte de la ressource en eau peut jouer gros dans une excursion en montagne. C'est souvent dans les terrains karstiques que la question reste la plus complexe. Bien souvent, ce sont les sources d'aquifères fissurés ayant suffisamment voyagées qui sont les plus sûres à la consommation. Les eaux de haute montagne cristallines sont généralement épargnées de risques de contamination en tout genre mais elles méritent précaution du fait qu'elles sont froides et très peu minéralisées, donc peu digestes. Il faut absolument éviter les eaux d'écoulement en alpages ou en aval, de manière générale. Il s'agit donc d'anticiper cette ressource en eau en utilisant l'outil cartographique et nos connaissances au préalable sur les caractéristiques des terrains rencontrés. On peut alors proposer quelques questions pour aider cette anticipation avant l'excursion :
- Dans quelle nature de terrain je vais? (cristallin, schisteux)
- S'agit-il d'un plateau karstique ? (auquel cas, pas d'eau de surface et je dois prévoir la flotte en conséquence)
- Où se trouvent les sources ?
- Il y a-t-il présence d'activités pastorales ou humaines en amont du point de prélèvement ? (auquel cas je ne me risque pas, sauf après pastille)
- Dois-je prévoir des moyens actifs de filtrations de l'eau ?
- L'eau prélevée au pied de ce névé sera-t-elle suffisamment minéralisée et ou vais-je devoir rajouter quelque chose ?
- Dois-je avaler un eau très froide d'un coup ?
- S'agit-il d'un milieu glaciaire très actif ?
- etc...etc...
Avec le temps, les pratiquants anticipent de plus en plus ces problèmes. Tout le monde se souvient d'avoir crevé de soif dans une interminable descente sans pour autant pouvoir boire une eau de surface car trop turbide et en dessous des alpages !!









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Imprimé le 9 juillet 2025 18:06