Divine providence « On sight »
Parler de « Divine providence » suscite un respect non dissimulé. La voie la plus dure pour passer la « grande bosse » a été ouverte par un certain Gabarrou et un certain Marsigny en 1984 déjà. Puis, les 4 longueurs d’artif libérées avec, sauf erreur, 3 points d’aide, par messieurs Ghersen et Renault en 1990.
La splendide escalade du bouclier ne s’offre qu’à celui qui fait l’effort de la mériter. L’accès chaotique, via le col Moore et son éboulement, le tout dominé par les monstrueux séracs de la Poire, sans parler de la longue rampe délitée et poussiéreuse, donne à cet itinéraire une envergure difficile à oublier. Mais le grand dièdre serait-il autant majestueux aux côtés de « Ma Dalton » à l’Aiguille du Midi par exemple ? Est-ce que l’ambiance de grand engagement du Pilier d’angle enlève un peu d’objectivité aux critères de beauté de la voie ? Las de toutes ces questions, nous sommes tous deux unanimes pour dire que « Divine » fait partie de ce que le massif peut offrir de plus grandiose.
Mais lorsque, insignifiants par rapport à cette énorme montagne, les prétendants sortent du mur raide, pas de rappels confortables, pas de bon plat mijoté qui attend à la cabane. Rien de tout cela, ils doivent ressortir les grosses, les crabes et alourdir les sacs avec le matos devenu inutile. Puis, doucement, par l’arête de Peuterey, ils s’élèvent sur le « Blanc ».
Fin juillet, lorsque le parfum anticyclonique se respire enfin, notre objectif portant le nom de « Divine » devient une évidence. Pour mon ami Denis, c’est un fantasme d’escalade libre, alors que pour moi, c’est un vieux compte à régler depuis 1995. Cette année-là, en compagnie de Christophe Germiquet, nous avions poussé jusqu’à mi-paroi lorsque météo Cham avait changé d’avis. C’était hélas, un peu trop tard pour nous. Après avoir équipé bien des rappels, sous la neige, soulagés de notre matériel, nous étions remontés tout légers à Ghiglione, le temps se dégradait toujours plus. Ce souvenir-là fait partie de ceux que l’on peut avoir de pire.
Passé les questions d’usage telles que : poignées autobloquantes ? sac de hissage ? pitons ? Les bagages sont paquetés à grande vitesse, car la dernière benne n’attend pas. Le matos est relativement « light », si l’on en juge : un bon jeu de friends avec quelques tailles en double, 1 jeu de stoppers, des RP’S, un T-bloc et 50m en diam.7mm pour hisser, des cordelettes pour « prussiks » et 2 pitons lames au cas où. C’est tout à fait raisonnable, à la voiture…
Le clair de lune nous accompagne au col du Trident alors que le jour nous surprend au col Moore. 3 rappels sans problèmes nous posent au pied de cet austère versant de la Brenva. Qu’il en jette ce Pilier d’angle, lorsque le soleil effleure le bouclier. Les doigts en fourmillent d’envie !
Après 3 longueurs dans la rampe, un bloc de la taille d’un autobus rebondit près de nous. Désagréable impression que de sentir la mort nous caresser le dos. La haute montagne, c’est quand même dangereux ! Ce drôle d’accueil nous pousse à accélérer le pas.
A la mi-journée, nous dégageons la neige de la petite terrasse qui m’avait vu autrefois grelotter. Le fameux dièdre est tout proche, seules 2 longueurs nous en séparent. Elles sont attaquées aussitôt. La seconde, d’aspect coriace à protéger ne résistera pas à la fougue de Denis. Assuré par les 2 plus petits RP’S, tous deux de la taille d’un cure-dents, il se lance dans un balai d’écarts fuyants et d’équilibres précaires. Heureusement, plus haut, un friend « béton » vient atténuer la chaude ambiance qui règne. Peu avant la sortie, le seul spit de toute la voie fait complètement chuter la pression. Le rétablissement final devient ainsi une formalité. Quelle efficacité !
Comme nous n’avons plus rien à fixer, il est grand temps de descendre, à 60m bien tendus, au bivouac. L’ombre ayant repris ses droits, les doudounes et le réchaud deviennent des éléments dont on ne pourrait se passer.
Petite sieste, palabres, casse-croûte, frissons, il manque une bonne poignée d’heures pour que le soleil revienne nous réchauffer. Nous sommes comme deux gamins, impatients, mais tellement heureux d’être là. Pourtant, une grave question me torture l’esprit : « après la démonstration d’aujourd’hui, puis je priver mon copain de cordée d’une éventuelle performance pour la simple gloriole de mener la moitié des 4 longueurs dures ? » Je sais pertinemment qu’il est capable de sortir la voie « à vue », dans un style impeccable, c’est-à-dire en plaçant les protections. Je ferais bien pâle figure, à côté de lui, même en limitant les repos. Nous trouvons très vite un accord car ce ne sont pas les mètres d’escalades qui manquent par ici.
Le soleil pointe, le rocher devient rouge, c’est parti ! Le hissage s’avère assez pénible : n’avons-nous pas assez mangé hier soir ? Une belle dülfer d’échauffement nous fait entrer au cœur du dièdre. La sortie semble d’une raideur plus que correcte. Mais d’abord, une grande longueur au tracé peu évident donne du fil à retordre à ma « bête de course ». Adhérence, écarts et pitons branlants, le tout avec un gros tirage, se succèdent jusqu’au relais suivant, là où il faut se retourner pour regarder la suite…
Ce bougre de Denis tient une sacrée forme aujourd’hui, comme si le rencart avec « Divine » était comploté depuis longtemps, servie sur un plateau, il ne lui reste plus qu’à conclure. Quelques mouvements ardus, puis une grande dülfer, bien protégeable mais diablement raide, lui font gonfler les bras d’acide lactique. Cela ne l’empêche pas de me crier relais quelques instants plus tard.
Tout en me félicitant de l’avoir laissé faire, je regrette un peu de ne tirer que sur mes prussiks. Le salaud, il a dû se faire un sacré plaisir… Mais la joie de contribuer à une si belle réussite gomme toute trace d’amertume.
Il ne reste qu’un surplomb difficile à négocier quelques dizaines de mètres plus haut. Avant cela, deux belles longueurs et un pendule me permettent aussi de bosser un peu. Le joli toit, presque entièrement équipé, ne résistera pas à mon compagnon survolté. Cette fois, c’est gagné !
La journée est loin d’être terminée. Je prends immédiatement la tête, sac au dos, car le terrain se couche, donc plus question de hisser. Une belle terrasse avec vue sur la face nord du GPA et le lointain Mont-Blanc nous accueille pour nous retaper un peu. Le réchaud fonctionne, on sort les grosses, les crampons et le gore-tex. Lourdements chargés, on a l’impression d’attaquer une seconde course.
Après un terrain mixte facile mais branlant, voici Peuterey, la belle. Un grand merci aux trois alpinistes qui nous ont précédés le jour même, nous avons beaucoup apprécié leur trace.
A petits pas, la chanson de « Led Zep / Stairway to heaven » accompagne tout naturellement nos esprits. Encordés très court, on se tire l’un et l’autre. Cette course s’avère être un excellent entraînement pour nos examens finaux de guide tout proche…?
Un pied qui rippe, une plaque de glace sournoisement cachée sous la neige, vient troubler notre euphorie. Prudence, la course n’est pas finie ! Au printemps dernier, en descendant de l’Eiger, notre ami le guide jurassien Philippe Steulet et son pote Gabriel Gobat ont peut-être disparus de cette manière. Nul ne le saura jamais vraiment. Mais cette seule pensée nous pousse à nous concentrer un peu plus afin de ne pas gâcher la fin de notre belle histoire.
Corniche, une barre rouge ferme l’horizon, un orage éclate sur la Vanoise, le sommet est tout proche, instant magique qu’il est superflu de décrire d’avantage.
Nous allons croiser plus de 100 loupiottes allumées durant notre descente aux Cosmiques. Le retour à la civilisation. A 3h du mat. , nous tapons 2 grandes bières à la pression (un détail qui a son importance) pendant que d’autres prennent leur petit déj. « Vous arrivez ou bien vous partez ? » nous demande un alpiniste encore un peu mal réveillé. « Ben on part » répond laconiquement Denis. C’est vrai qu’il y a encore quelques belles voies à tenter à vue dans les parages.
Nicolas Zambetti
Divers
Ascension réalisée les 27 et 28 juillet 2002, par 2 aspirants-guides suisses, Denis Burdet et Nicolas Zambetti. Denis réussit les 4 longueurs les plus difficiles « à vue » en plaçant les protections, soit 7a+, 7b, 7c et 7b+. Quelques pitons, dont il faut se méfier, parsèment la voie. 2 ou trois lames peuvent s’avérer utiles, notamment pour la longueur 7a+. Nous ne les avons pas employés, mais on ne sait jamais. Par contre, en cas de retraite depuis le bivouac, il reste quelques clous dans la rampe, mais bien des relais sont à renforcer, il faut juste y penser !
En ce qui concerne l’accès, on peut dire que pour la descente du col Moore, passer le plus possible à gauche en descendant, on trouve 3 rappels en place, dans du rocher sain, qui n’ont pas été touchés par l’éboulement de 97, (ils étaient déjà là en 95). Il est préférable ensuite d’attaquer par la rampe qui est à droite (en regardant le pilier) de celle qui est décrite dans le topo de Michel Piola, c’est nettement plus facile quand on est lourdement chargés.
Voir aussi l'article originale sur le site de Nicolas.
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Rocher haute montagne
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Imprimé le 13 août 2025 13:03