Valse avec le calcaire

L’escalade, c’est safe.

Ouais globalement c’est safe.

Mais enfin là quand même, l’autre jour, il nous est arrivé un truc pas safe du tout. C’était aux dentelles de Montmirail, clapis face sud, secteur Lune de miel. Avec ma partner du jour on va dans la ballade du Mahabharata (ou comment diable çà s’écrit ce truc là?). C’est une des deux voies trois étoiles du topo sur ce secteur, et c’est donné comme « equipement ancien » pour L2 et L3. Je trouve L1 bien rési pour du 6b+, mais jusque là, normal, c’est les dentelles, hein? Ensuite ma partner s’engage dans L2, fait le plus dur, et redescend suite à une petit coup d’adrénaline. J’y vais donc pour enchainer L2 et L3 vu qu’on grimpe avec une corde à simple de 80m. L’équipement est effectivement ancien (spits de 12 ultra rouillés, spits de huit, pitons, sangles hors d’âge). Qu’à cela ne tienne, j’arrive à la fin de L3, où il y a un petit surplomb dont on sort en empoignant le bord supérieur d’un gros bloc. J’empoigne à deux mains, je tire dessus, et… le bloc se détache! Un mastard de 1m sur 1m, genre deux fois lourd comme moi. Je pars en live en arrière, avec ma danseuse dans les bras. Je prends un plomb d’une dizaine de mètres, je tape en dessous sur la dalle, et je passe au travers une pluie de caillasses. Le bloc me passe à droite, me rappant juste un peu la cuisse. Il explose en plusieurs morceaux sur la dalle. Ma partenaire est au relai dans une section plus verticale. Les cailloux rebondissent sur la dalle et lui passent au dessus. Elle n’est pas touchée. Heureusement, il n’y a personne exactement en bas de la voie (une cordée grimpe plus à doite). Perso, je suis un peu cabossé, mes chaussons se remplissent du sang qui coule sur mes jambes, mais ce ne sont que des petites plaies. Au bout d’un moment, je me tranquilise et je finis la longueur par un crochet à gauche, histoire de ne pas me faire mouliner sur un vieux spit de 8 qui vient de prendre un bon shoot. Je tire ensuite un rappel et je purge ce que je peux (ma partenaire est toujours en dessous, donc prudence).

Bref, l’escalade, c’est safe, mais quand on va dans des voies qui sont pas trop faites, on n’est pas à l’abri d’un gros pépin. Rétrospectivement je me dis aussi qu’une corde à double, cela limite un peu les risques de sectionnement.

Bon, ça arrive pas tous les matins non plus, hein? de faire une valse dans l’espace temps avec un gros bloc de calcaire. Allez, je vais me remettre au parapente, c’est pas si unsafe tout compte fait.

Bises à vous tous

JPM

Wa, jolie histoire! C’est intéressant de lire des choses comme ça, et heureusement pas de conséquences grave!!

C’est typiquement le genre d’évènements qui sont intéressants à entrer dans la base SERAC de c2c. Si tu as le temps de le faire, ça serait super, ça permet de retrouver facilement l’info plus tard.

Merci pour ce petit récit

Je remarque que le vieux spit de 8 (cheville spéléo ou goujon ?) a tenu le coup. Certes le facteur de chute était faible, mais ce n’était pas un point en carton.

Heureusement! Vu la sangle vintage qu’il y avait sur le point d’en dessous (pas réussi à l’enlever de l’oeil du piton) et la distance avec le piton encore en dessous, s’il avait pété, je prenais le vol de ma vie… Je sais pas ce que c’est comme point. Un petit boulon pas rouillé avec écrit 8.8 dessus. Quand j’ai commencé à grimper, c’était la norme, donc oui, y a pas de raison que ça tienne pas.

Sauf l’usure dans le temps…et l’impossibilité de juger de l’état de la cheville dans le rocher ne permet que de spéculer… En rééquipant, j’ai changé souvent ces petits boulons bien en apparence, mais vissés dans une cheville pourrie, ou fendue, ou les deux à la fois!
A part ça, bien content pour toi et ta partenaire que l’histoire finisse de cette façon!

D’avoir posé des mots dessus m’a fait me remémorer plus précisément l’incident. Quand le bloc commence à bouger en roulant à droite, j’ai le temps de me dire « merde, c’est vraiment pas bon, il va y avoir du dégât ». Ensuite, instinctivement, je dégage violemment du bloc en le repoussant vers la droite. Du coup, je me retrouve à tomber le corps incliné à 45° sur la gauche. Ce qui est particulier dans cette chute, c’est que le danger vient plus du dessus que de la réception. Donc je tombe en regardant en l’air, inquiet de tomber plus vite que les cailloux. Dans mon esprit, ce qui a laissé son empreinte, c’est ce moment où je suis dans le gaz, de traviolle, avec les blocs en mouvements lents au dessus de moi. Ensuite tout s’accélère et c’est difficile de décomposer. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’esprit revient encore et encore sur quelques images, sur cette sensation brève mais marquante d’être dans le vide comme en apeusanteur, avec du danger en dessus et en dessous. Un peu comme s’il y avait un travail d’imaginaire pour se faire à une réalité traumatisante (cette nuit j’ai rêvé que je grimpais sur une corde par endroit sans âme). Très étrangement, c’est comme s’il y avait une sorte d’accomplissement dans cette photo mentale. C’est comme si, au moment ou je dégage en arrière, de travers, bras et jambes écartés, j’avais fait exactement ce qu’il fallait, et j’ai la sensation, dont je suis presque sûr qu’elle n’est pas restrospective, que le moment est en quelque sorte parfait dans sa suspension entre les dangers, dans son intensité. C’est dur à expliquer. C’est comme si tu avais un flash visuel et mental en même temps, ou te dis: « là ça y est, t’as fait ce que tu pouvais, maintenant ça passe ou ça casse ».

C’est ce qui passe généralement dans ce genre de situation d’urgence, à laquelle on est au moins un peu préparé (tu es déjà tombé, tu as déjà vu des blocs tombés, tu as déjà arraché une prise, mais les 3 en même temps c’est surement la 1ère fois).
Le cerveau réfléchit tout seul pour pouvoir décider 10 ou 100 fois plus vite que d’habitude (d’habitude il te demande ton avis avant d’agir, et ça rame), en utilisant toutes les infos à sa disposition, et entre autre en extrapolant des situations connues.
C’est tout l’intérêt des entrainements aux situations d’urgence (même de façon peu réaliste), afin que le cerveau aient de bonnes infos en mémoire sur lesquelles s’appuyer pour extrapoler. Si on se retrouve exactement dans la situation de l’entrainement, c’est encore plus simple pour lui.

Moi j’ai vu passer dans le ciel mon pote Fred, incrédule, accroché à une armoire normande dans la Livanos à Glandasse.
Magnifique et inoubliable spectacle en contre-jour qui s’est miraculeusement terminé sans dommage pour lui, moi, la corde et surtout la cordée Renard 2-3 longueurs plus bas :wink:

Tout d’abord, heureux de vous savoir safe tous les deux! Ensuite merci pour ce retour d’expérience détaillé et sensible.

Bonsoir,
J’ai vécu une expérience similaire où j’ai pu constater à quel point le réflexe de survie peut vous faire réagir avec une promptitude et une exactitude quasi surhumaines…
Grimpant en solo dans du terrain facile mais vertical, au-dessus de dévers et à plus de quinze mètres d’un sol chaotique, dans un dièdre, une de mes prises de main a cassé et j’ai perdu l’équilibre,partant en « porte de grange ». Aucune chance de rétablir cet équilibre. Je savais mon pied posé sur une grosse marche proéminente. Je me suis laissé tomber et j’ai saisi la grosse marche à deux mains au vol, sur laquelle je me suis retrouvé miraculeusement suspendu. Le tout a duré une fraction de seconde je pense, mon cerveau a commandé au corps la seule réaction possible pour me sauver.
Bien sûr, ça ne s’improvise pas, il y avait des années de pratique de bloc et falaise auparavant (pas la pratique du cirque!), mais quand même, quand je repense à cet évènement, je suis toujours troublé par les ressources insoupçonnées qui sommeillent en nous…

Sacré jpm31 toujours à faire le mariole devant les nanas !

À part ça content de te savoir en vie

Merci pour ce partage et cette analyse intéressante, jpm…
Est-ce que ça ne serait pas utile de l’enregistrer dans la Base Serac ?
/articles/697210/fr/base-serac-de-recits-d-incidents-et-accidents

[quote=« csv, id: 1805044, post:12, topic:161081 »]Merci pour ce partage et cette analyse intéressante, jpm…
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Je connaissais pas la base SERAC. J’ai créé une entrée.

:slight_smile: