Marcel Demont: plus de 50 années d'ouverture de voies nouvelles
Ouvrir des voies nouvelles, pourquoi ?
- Pour exister aux yeux de la population grimpante ?
- Pour laisser une trace ?
- Pour son seul plaisir ?
- Pour le sport ?
- Pour l’aventure ?
- Si on veut grimper… faut équiper ?
- Par altruisme ?
- Pour avoir son nom dans le topo ?
- Pour gagner sa croûte ?
- Pour…?
- Au cours des années 1950 : l’alpinisme ; l’exemple des grands alpinistes s’aventurant dans des faces encore vierges et y traçant des itinéraires qui deviendront légendaires, des ‘premières’. A cette époque, la hauteur de mes premières ne dépassera guère les 20 mètres.
- Au cours des années 1960 : devenu guide, travaillant pour des collectivités, des groupes de plus de 20 personnes parfois, je découvre la nécessité de disposer de voies d’escalade sécurisées permettant de faire grimper tout le groupe dans de bonnes conditions (ouverture aux Aiguilles de Baulmes, à la Pierre du Moëllé, dans le granit de la Furka au service des Ecoles d’Alpinisme et des Groupements qui m’emploient). De telles infrastructures extérieures sont rares, il faut donc les créer. Dans le même temps, je réussis quelques ‘vraies’ premières sur de grandes parois des Alpes.
- Au cours des années 1970, le mouvement vers l’escalade s’accélère, je continue à équiper pour la nécessité professionnelle. Toutefois, l’esprit de découverte est toujours présent. Un pan de rocher inexploré (jamais gravi) exerce sur moi une attirance irrésistible.
- Au cours des années 1980 et 1990, sollicité par plusieurs établissements scolaires pour organiser des cours d’escalade, j’élargis mon champ d’action (Sites d’escalade d’Anzeindaz, Pierre Q’Abotse, Dalle des guides, Saint-Loup, Trois Feuillets…).
- Au cours des années 2000, mon activité de guide s’oriente presque exclusivement vers la clientèle privée, je renonce à servir des collectivités. Je continue à ouvrir des voies d’escalade… pour le plaisir, pour l’aventure personnelle et pour être utile à la communauté des grimpeurs. Me sachant inapte à fonctionner dans un cadre aux structures contraignantes, je considère mon activité dans le domaine de l’équipement de voies d’escalade comme une forme d’engagement personnel au service de la société, l’idée étant de ‘faire sa part’.
Utopiste ? Un peu fou ce type ? Peut-être bien. Tant pis.
« La dalle de Q’Abotse, altitude 2735 m, tombe sous les coups répétés de grimpeurs fous, à l’ego surdimensionné, poussés par des intérêts économiques, et avides de reconnaissance, de célébrité.
La dalle s’escalade d’habitude par la gauche. Suivre une fissure qui monte à droite, et revenir à gauche. De là, droit en haut, par des cannelures, jusqu’à une grande vire. On remarque des trous forés pour des broches. »
« Honte ! Scandale ! Atteinte irréversible à la nature et à l’éthique… » auraient pu encore ajouter X, Y, ou Z, sur un forum, si Internet, les ordinateurs et les espaces virtuels consacrés à l’échange de messages avaient existé à l’époque. C’était en 1891, et les fous étaient deux guides des Plans-sur-Bex, J.-L. Marlétaz et Jean Veillon. Le but de leur action était d’assurer un minimum de sécurité lors de l’ascension d’un des sommets les plus visités des Alpes vaudoises.
Les broches ont fini par disparaître, elles ont été remplacées par des pitons de forgeron qui ont fini par disparaître, les pitons de forgeron ont été remplacés par des ‘spits’ inox inviolables qui finiront par disparaître… pour être remplacés par…
J’y vois une certaine continuité dans l’idée générale, avec, parfois, des excès à contenir par le rappel des règles admises par la plupart des grimpeurs, depuis des lustres.
- le type de protection (coinceurs, pitons de forgeron, ‘spits’) de la voie qu’il ‘invente’
- le caractère de sa voie, en fonction du public auquel il la destine : aventure, sportif, plaisir, enfants, initiation, moyens, avancés, forts, etc., en tenant compte des possibilités du support naturel (le rocher), en recherchant un compromis entre la protection de la nature et l’aspiration bien légitime des humains à s’adonner à des loisirs sains en plein air
- il a le souci de fournir un travail (bénévole bien que très coûteux, difficile et harassant) de qualité, en respectant des normes de sécurité pour ce qui concerne le matériel et sa mise en œuvre
- son topo dit clairement les choses : voie bien protégée, très bien protégée, super… expo… relais en place… coinceurs nécessaires… longueur de corde minimum… etc.
- en d’autres termes, on ne modifie pas l’équipement (on ne déséquipe pas, on ne rééquipe pas, on n’ajoute pas, ni n’enlève des points…) sans son accord
- lorsque l’ouvreur a disparu, on prend l’avis des grimpeurs locaux, des clubs, etc.
1957/58 - 2010: 52 années d'ouverture de voies nouvelles
- quel que soit le soin qu’il apporte à ses réalisations, il lui arrive de se fourvoyer
- commencer par le remercier de son travail, avant de l’engueuler pour ce qui est à corriger permet, à coup presque sûr, d’arriver à une entente.
2010: repérer, tracer, nettoyer, 'spiter' et renettoyer après le passage de vandales
- je ne m’aventurerai pas sur ce terrain (je ne suis pas juriste), toutefois je me souviens avoir entretenu, il y a quelques années, une correspondance avec un homme de loi ayant traité de la responsabilité des ouvreurs (j’ai malheureusement perdu ses coordonnées)
- suite à des accidents, des procès ont déjà eu lieu (équipement défaillant, retiré, volé)
- si l’ouvreur, ‘l’équipeur’ a une responsabilité, le ‘déséquipeur’ (sorte d’ouvreur à l’envers, celui qui enlève l’équipement mis en place pour quelque raison que ce soit) en a une aussi (experts en droit : à vos codes).
Un minuscule site d'escalade très convivial, à l'altitude de 1300 m et à 5 minutes de marche d'un chalet d'alpage servant les meilleurs beignets au fromage du pays. Bientôt, le topo sur C2C, pour un concept innovant: la GRIMPE PRETEXTE (apéritive ou digestive selon qu'on s'y adonne avant ou après s'être mis à table).
Tracer une voie nouvelle sur un pan de roche vierge, c’est, pour moi, visiter un pays inconnu ; parcourir, premier humain, rare privilège, un petit bout de la vaste Terre encore inexploré. Ce faisant, je crée un chemin que beaucoup d’autres suivront (ne suis-je pas guide ?), je fais œuvre de pionnier, d’aventurier, de sportif, d’artisan aussi. Et j’ai pleine conscience de l’insignifiance de ma démarche, du caractère éphémère de mes réalisations, de la fragilité des choses humaines.
MaDe © 2010
Depuis l'écriture de cet article, l'auteur a ouvert et / ou rééquipé plus de 200 voies supplémentaires au Chaney, au Roc à Mataf, au Petit Coin de Paradis, aux Aiguilles de Baulmes, pour un bilan global d'environ 500 voies. Le titre de l'article pourrait donc être: 59 années d'ouverture de voies nouvelles et d'entretien de sites d'escalade.
Ouverture, nettoyage et équipement d'une nouvelle voie aux Aiguilles de Baulmes, secteur Roche Oubliée, en 2015.
Marcel Maurice Demont dit Marcel © 2016
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Randonnée / Trail
Rocher haute montagne


















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Imprimé le 17 juin 2025 15:10