Alpinisme et vos proches

C’est marrant, pareil au Col de la Temple. Ca doit être le coin.

Il fallait bien traverser avant que ce ne soit plus possible, la descente du Glacier Noir a tenu plus de la Chevauchée des Walkyries avec les avalanches qui dégringolaient des 2 côtés.
Arrivée au pré de Madame Carle, en retournant ses Koflach pour en extraire le demi-litre d’eau qui les baignait, elle était heureuse.

Comme quoi …

Mais 10 ans plus tard, quand elle est venue ce dimanche soir dans cette chambre d’hôpital après avoir casé les 2 fistons chez des voisins, je n’ai pas réussi à trouver les mots. Pas facile de dire que tout va bien en fait malgré les 2 jambes pétées, en attendant l’opération.

Elle ne m’en a jamais voulu.
11 mois plus tard notre fille est arrivée.

Aujourd’hui on fait de la montagne en famille. Des fois en s’encorde. Des fois pas.
Les risques on en parle avant pour mieux les gérer pendant.

Sinon, vis-à-vis de mes parents, on ne s’est jamais compris sur l’alpinisme. C’est pourtant eux qui m’ont emmené en montagne randonner, inscrits à mes premiers stages d’alpinisme dès 16 ans. Mais quand j’ai été autonome j’ai rapidement compris qu’il valait mieux éviter d’en parler.
Ils ne m’ont jamais rien demandé au sujet de mes 3 expés, ni sur mes activités d’encadrant. C’est comme ça.

A contrario on peut se poser cette question : ceux qui font de l’api n’ont-ils pas le désir profond et refoulé de ne pas mourir dans un lit ? (:stuck_out_tongue: )
(J’ai cette hantise d’une mort lente et annoncée, allongé et prostré , attendant que la grande faucheuse remplisse ses macabres offices…).

Le tout n’est-il pas de parvenir à convaincre ses proches que la montagne est un endroit où l’on meurt bien moins souvent que dans un lit , et que finalement c’est un lieu de bonne fréquentation ?

Bonjour à tous,

Voilà un sujet très intéressant voire perturbant. L’approche du risque et son acceptation par autrui est bien difficile. Et la non acceptation de ce risque par nos proches peut conduire à la non acceptation personnelle de ce risque. Je vous livre ici quelques réflexions au cours de 10 ans de « montagne », passant du mode « jeune con inconscient » à « à peine plus vieux mais trouillard » à la suite d’événements parfois tragiques.

Je pense que nos comportements doivent varier en fonction des proches. Voici les miens, basé sur ma pratique à tout petit niveau (pas bien bon, pas bien exposé sauf à ski).

Les parents

Par respect pour eux, je lève le pied. Je ne les laisserai jamais se faire appeler par le PGHM pour annoncer que la faucheuse est passée. Ils sont jamais été au courant des pépins vécus (avalanches, météo plus que mauvaise), des situations border line ou des copains blessés ou disparus. Ils manquent, de fait, une partie de ma vie et de mes épreuves, mais je cherche à les préserver: ils n’ont peu voire pas de culture de la montagne. On marche parfois ensemble sur les montagnes à vaches.
Maman (toujours stressée): elle sait quand je sors en montagne car mon camp de base est chez mes parents. Activité et massif connu, rien de plus. Elle ne sait pas quand je pars seul
Papa (un peu moins flippé): il sait quand je pars seul, un peu plus d’info sur le sommet, la difficulté et les conditions. Il me fait un peu plus confiance. Je l’ai initié à la grimpe. Je lui fais part de mes doutes a priori et des paramètres auxquels je ferai attention.

Je les appelles de retour au parking.

La copine

Elles ont toujours été au courant et une sorte de contrat moral est passé dès le début. La montagne tue, même en limitant les risques. La part aléatoire est toujours présente et il se peut que l’on ne revienne pas. Un peu dur, mais cela construit des bases saines. Pour la dernière en date, je ralentis aussi beaucoup la prise de risque. Il m’est arrivé plusieurs fois de pleurer dans ces bras, pour discuter de l´égoïsme de la prise de risque. Elle est au courant de tous les pépins et disparitions: cela forge la confiance.
L’initiation évoqué précédemment est un bon truc: mon père est rassuré et je découvre de nouveaux plaisir. Faire du 4 en grande voie avec mon père, apprendre le chasse neige à ma copine qui n’a jamais skié. Ces partages, ces sourires décrochés au relais ou au virage me rendent plus heureux, avec l’age, que de tracer un 5.x en poudre vierge. J’ai acheter un ABS pour elle.

Les copains (non montagnards) et la famille plus éloignée

Ils savent peu de chose, juste quelques anecdotes ou faits majeurs. Je pars du principe qu’un ami doit nous accepter tel que l’on est. on peut perdre un ami, on peut relativement accepter de mes perdre un copain par sa passion (montagne, moto, …) ou ses addictions.

Les enfants

Pas (encore) concerné. Je pense que j’arrêterai presque tout de trop osé (ski d’hiver), TATA jus’à ce que le dernier soit indépendant. Je plussoie de ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Mon petit neveu et filleul m’a fait prendre beaucoup de plomb dans la cervelle et est probablement la cause principale de la réduction d’engagement.

J’ai commencé des lectures pour trouver des réponses à l’acceptabilité du risque. J’en ai besoin pour me sentir en vie, pour prendre un peu recul. Eric Fromm a bossé sur la pulsion de mort, mais je n’ai pas encore fini. J’espère y trouver un équilibre pour atteindre le mode « vieux sage » le plus rapidement possible.

A propos du lit, c’est l’endroit le plus dangereux du monde: la plupart des gens y meurent. Les autres comparisons sont un peu foireuses (avis personnel): les selfies sont plus dangereux que les requins (vrai) :), les sorties de boites sont souvent binaires et pas toujours contrôlables.

EG

[quote=« Altaï, id: 1866558, post:57, topic:170535 »]

A contrario on peut se poser cette question : ceux qui font de l’api n’ont-ils pas le désir profond et refoulé de ne pas mourir dans un lit ? (:stuck_out_tongue: )
(J’ai cette hantise d’une mort lente et annoncée, allongé et prostré , attendant que la grande faucheuse remplisse ses macabres offices…).

Le tout n’est-il pas de parvenir à convaincre ses proches que la montagne est un endroit où l’on meurt bien moins souvent que dans un lit , et que finalement c’est un lieu de bonne fréquentation ?[/quote]

Je me dis pareil… De toute façon la perte d’un proche est horrible. L’accident est horrible, qu’il arrive en montagne, dans l’eau, sur les routes ou n’importe où ailleurs. Mais avec du recul, c’est encore pire de voir quelqu’un souffrir et attendre la mort…

Après moi j’ai cette sorte de « croyance » en une sorte de « destin ». Je sais pas comment dire… A mon avis les choses qui doivent arriver arrivent. On peut les retarder, mais quelque part les choses sont « écrites ». Je cherche pas à ouvrir un débat là-dessus, c’est juste comme je vois/ressens les choses… Mais (je ne suis pourtant pas croyante en une religion ni pratiquante ni rien), je pense qu’on a tous quelque chose à accomplir ici bas… Et qu’ensuite c’est fini. Quand tu vois des jeunes à qui il arrive des choses horribles (en montagne ou ailleurs). Quand tu vois des personnes âgées qui attendent désespérément que tout ça soit fini (je pense à mon grand-père que j’ai vu souffrir et attendre que la mort l’emporte)…

Bien sûr, une telle vision des choses ne rassure pas les proches, ni ne les console. Mais peut-être que cela permet de relativiser au niveau de la prise de risques… Qu’il faut profiter à fond de faire ce qu’on aime parce qu’on ne sait pas quand on sera plus là! Après, c’est peut-être juste un moyen égoïste de déculpabiliser, j’en sais rien :stuck_out_tongue:

Ceci dit, j’essaye de penser comme ça pour la vie en général, pas seulement pour les risques pris en montagne. Je me dis souvent (ou j’essaye, surtout quand je viens de me prendre une grosse claque dans la tronche :stuck_out_tongue: ) « Si ça doit se faire, ça se fera. Sinon, c’est que ce n’était pas pour moi » (et par là je n’entends pas être passif et attendre que les choses nous tombent dessus non! Juste que si malgré nos efforts, quelque chose ne se passe pas, c’est que ce n’était pas « fait pour être »). ça aide à relativiser beaucoup de choses, en montagne comme ailleurs.

[quote=« bernard guérin, id: 1866538, post:55, topic:170535 »]

En fait, il faut savoir ce que signifie la précaution qu’on prend.
En ne se couchant jamais dans un lit, on a la certitude de ne pas mourir dans un lit. Autrement dit, on a la certitude de mourir ailleurs que dans un lit.
Pour la montagne, c’est pareil : en n’allant jamais en montagne, on a la certitude de ne pas mourir en montagne, et donc de mourir ailleurs qu’en montagne.
Est-ce vraiment intéressant pour la qualité de vie de mourir ailleurs qu’en montagne et ailleurs que dans un lit ? A chacun de choisir. En ce qui me concerne, je préfère continuer à aller en montagne ou dans un lit. Du coup, je ne sais pas si je mourrai dans un lit ou en montagne ou ailleurs, mais je garde toutes les possibilités, et de préférence pour le plus tard possible.

Bernard[/quote]
Certains alpinistes develloperaient donc une phobie du lit ? :wink:
A tout hasard il y en aurait ici qui ne se couche jamais dans un lit par crainte d’y trépasser ?
Et puis il y a mourrir dans un lit et mourrir dans un lit.
En France la tendance est a mourrir systématiquement dans un lit d’hopital.
Et pas chez soi. Ce qui change un peu les choses.
Mais parait qu’ils commencent a y refléchir( ca coute « cher » un lit d’hôpital pour le populo)
Personnellement je préfèrerai mourrir dans mon lit d’une seul pièce plutôt que de contraindre une tierce personne ( même si c’est son " métier") à venir me recuperer en très mauvais état au pied d’une parois ou ailleurs.
J’aime bien mon lit (ou ma couche ) quand je reviens d’un périple.

Pour ma part, nous grimpions souvent ensemble avec mon épouse … Depuis les enfants, c’est plus compliqué. Compliqué pour les faire garder, et compliqué pour l’histoire de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Même le ski, on n’y réfléchi à deux fois, même si le risque des deux est facilement gérable. Bon, nous grimpons toujours un peu chacun de notre côté. Suffit de gérer à coup de texto les retards si c’est possible. De toute façon, suivant le lieu de la course, on sait si ça va passer ou pas.

Sinon, moi j’ai jamais rien géré en vrai. Égoïste ? Je ne sais pas. Inconscient, je ne sais pas. Mais c’est vrai que j’ai toujours dit ce que mes compagnes ou ma mère voulait entendre (oui je serais de retour à Grenoble en début d’après-midi, t’inquiète, je pars pas longtemps … Dans le Grand Clôt intégral). Mon père n’a jamais rien compris (une fois à la Meije pour la voie normale, il était allé à la Grave pour avoir accès à la lunette au pied du télé … Il ne m’a pas trouvé évidement). Mes enfants ne se rendent pas (encore) compte.

Mais c’est vrai que j’ai enregistré malheureusement un paquet de copains et copines décédés en montagne. Principalement avalanche. Une seule mort sur la route dans mon entourage.

:smiley:

Quand j’ai commencé la montagne (pas hier, mais juste avant…) je ne m’inquiétais pas de savoir si ma mère flippait ou pas. De toute façon, quand je lui parlais du jardin de Talefre, elle me croyait au jardin des plantes …

Quand j’ai rencontré celle qui allait devenir mon épouse, on a fait quelques initiations ensemble. Une chute, une petite minerve puis un vol de 12 h dans cet état (on bossait loin à l’époque :slight_smile: a suffit pour qu’elle arrête.

Les enfants sont arrivés. La deuxième à tout de suite mordu à fond (jusqu’à faire des pieds et des mains pour être des sorties C2C-G2G (pour vous dire si ça date …) mais prend peu de risques et c’est tant mieux.

Maintenant, je recommence à partir seul (j’entends: sans la famille) mais surtout, surtout: je ne dis plus où je vais, ni ne téléphone du sommet.

Août 2008, alors qu’on était en plein bivouac dans les aiguilles de cham, ma moitié à réussi a décharger mon tel en essayant de me joindre pour me demander si ça allait. Les infos annonçaient 40 morts suite à l’avalanche du Tacul. Pour elle, Chamonix c’est un tout :slight_smile:

C’est, quoiqu’il en soit, un sport quelque peu égoïste et comme le disent certains: il vaut mieux ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Et les deux pieds dans le même sabot.

Bah déjà que pour grimper, les sabots c’est pas terrible, mais avec les deux pieds dedans… :confused:

Une fois, avant de partir pour un projet extrêmement dangereux, j’ai eu un coup de conscience, et j’ai bien rangé mon appartement. J’ai pensé aux autres. Ce n’est pas bon d’en arriver là. :lol:

Pas dit ! C’était au printemps ? C’est normal alors … :wink:

J’ai bien mon mot de passe de session sous mon clavier au boulot… Et un collègue est au courant que j’ai plaqué le mot de passe ici.

Je ne range jamais tout.
Comme ça veux dire que je vais pour finir le rangement en revenant au bercail.
Superstitieux je suis.
J’ai aussi un gri-gri. Un vrai.
Pas l’engin.

Ce n’est pas dans les projets dangereux que les alpinistes perdent la vie mais très souvent dans la montagne à vache ou lors de manoeuvres basiques et fréquentes …

Donc, les projets dangereux ne sont pas dangereux. Qu’on se le dise !

C’est normal, car ce sont des alpinistes aguéris, et non des randonneurs à vache aguéris.
Ils l’ont bien compris, et ont progressivement réduit les marches d’approche, sur lesquelles ils sont pour la plupart incompétents et qui représentent pour eux la partie la plus risquée de l’itinéraire. Ce qui a donné le développement des itinéraires d’escalade en falaise, puis des sites de couennes, puis des SAE. :slight_smile:

[quote=« Bubu, id: 1867585, post:72, topic:170535 »]

C’est normal, car ce sont des alpinistes aguéris, et non des randonneurs à vache aguéris.
Ils l’ont bien compris, et ont progressivement réduit les marches d’approche, sur lesquelles ils sont pour la plupart incompétents et qui représentent pour eux la partie la plus risquée de l’itinéraire. Ce qui a donné le développement des itinéraires d’escalade en falaise, puis des sites de couennes, puis des SAE. :)[/quote]
… puis de l’alpinisme sur canapé façon C2C :lol: .

:lol: :lol: :lol:

+1

Définitivement le plus grand danger ! Mais, one life no fear.

Gaffe… le lit n’est pas loin …

:wink: