Posté en tant qu’invité par csv:
Séparation et neutralité : modeste contribution d’un contributeur mineur.
Il me semble que votre discussion, très intéressante à travers tous les points de vue exposés, soulève un enjeu important. Elle n’est pas sans faire écho à l’opposition actuelle entre deux modèles politiques de séparation entre la croyance religieuse privée et l’espace public.
1- Le premier modèle est le modèle anglo-saxon de la Sécularisation: son maître mot est la Liberté, qui se traduit par un principe général de tolérance des différences. Chacun est libre de s’afficher, d’exprimer ses croyances ouvertement, et libre aux autres de ne pas regarder si ça les choque ou si ça ne les intéresse pas. Pour garantir cet absolu de la liberté individuelle (note 1), les Institutions garantissant le bon fonctionnement collectif (L’Etat, les modos) doivent s’effacer le plus possible, rester neutres (dans le sens d’une neutralité passive d’abstention) afin de ne pas gêner la libre concurrence des libertés entre elles.
C’est le courant qu’on appelle aussi en France laïcité « ouverte », « plurielle » ou « positive », qui s’oppose actuellement à la conception historique de la laïcité française.
Les deux grands reproches qu’on peut faire à ce modèle sont d’avantager la liberté du plus fort et de favoriser le communautarisme (« Ah ! Il met des renvois à des sites concernant sa religion ? Et bien je vais mettre moi-même des renvois à des sites encore plus percutants concernant ma croyance, ou à ma secte, ou concernant l’athéisme et la libre pensée ! »). Bref, chacun se définit par son appartenance à un groupe, et non par sa personnalité individuelle, et les échanges se font entre chapelles figées, plus ou moins puissantes, et non plus entre individus, toujours susceptibles, eux, d’évoluer…
2- Le second modèle est le modèle français de la Laïcité historique : son maître mot est l’Egalité, qui se traduit par un principe général de l’exigence d’un respect identique de la liberté de chacun, en tant que personne de droit. Si tous sont libres, au nom de l’Egalité des libertés, nul n’est libre de s’afficher, d’exprimer ses croyances ouvertement, si l’Etat (les « modos ») estime que cela peut en gêner d’autres dans leur propre liberté. Pour garantir cet absolu de l’Egalité entre les différentes libertés (pour éviter que certaines libertés, qui disposent de plus de moyens ou de force, ne s’imposent face à d’autres libertés individuelles plus faibles (note 2), les Institutions garantissant le bon fonctionnement collectif (L’Etat, les « modos ») doivent s’affirmer quand c’est nécessaire. Elles doivent rester neutres (mais cette fois dans le deuxième sens d’une neutralité active qui n’est pas un « laisser-faire » et défend la valeur de l’Egalité) afin de ne surtout pas être tolérantes avec les abus de liberté qui nuisent aux autres (on ne demande pas à un arbitre d’être tolérant…).
C’est le modèle qu’on nomme en France Laïcité. On lui reproche essentiellement deux choses : l’intégration contrainte, et la réglementation du privé. « Si tu veux rester parmi nous, tu dois te plier à des valeurs communes à ce groupe que tu veux intégrer » (note 3). De plus, l’Etat intervient dans la vie individuelle pour réglementer ce qui peut nuire à la liberté des autres, des opinions privées jusqu’à la façon de s’habiller. Ce qui perturbe des personnes très attachées à leur liberté individuelle.
Note 1 : Cf le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis (« Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou touchant au droit des citoyens de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de leurs griefs.») Note 2 : Aux USA, on peut défiler dans la rue et crier des slogans racistes, sexistes, homophobes, et même être encadrés par la police (les «modos » de la rue, au sens noble du terme !) afin de protéger la manifestation contre les réactions d’hostilité des badauds. On peut aussi injurier au nom de la Bible les passants à un carrefour sans avoir de problème, en les accusant de ne penser qu’à forniquer, boire ou fumer sans lire la Bible. On peut voir toute l’assistance d’un cinéma en plein air se vider de ses spectateurs (qui regardaient un film bien calés dans leur voiture…) à cause d’un prêcheur qui les injuriait avec un haut parleur… ) Je dois aussi ajouter qu’un bon nombre d’américains ne sont pas toujours d’accord avec ces dérives de leur système. . Note 3 : Ce qui à la fois peut sembler normal pour le fonctionnement de toute association, mais peut aussi déboucher à l’extrême sur la caricature du trop fameux «La France, aimez-la ou quittez la!», à qui on peut reprocher le manque d’ouverture aux apports d’autres cultures, en raison d’une affirmation nationale étroite, c’est à dire d’une définition figée une fois pour toutes du groupe d’appartenance.
La vraie réponse réside donc dans la façon dont C2C définit ses valeurs fondamentales : sont-elles bien claires pour tout le monde et dans quelles mesures l’association accepte ou non de voir évoluer certaines pratiques en son sein… Y a-t-il risque d’affrontements de communautés sur C2C ? Certaines expressions sont-elles affirmées de manière plus puissantes que d’autres, ou est-ce possible de leur répliquer ?