Racontez votre ascension du Mont-Blanc!

Posté en tant qu’invité par figolu:

L’ascension du Mt-Blanc reste un événement marquant dans la carrière d’un alpiniste. Il n’est pas indispensable dans la liste de courses, il est souvent décrié pour des raisons diverses, fréquentation, faits divers, il suscite des réactions épidermiques, incontestablement un destin de vedette pipolisée !..quelque soit le sommet où l’on se trouve, on le cherche, on l’évoque, il rappelle des souvenirs ou fait naître des projets, bref, il ne laisse jamais indifférent ! Racontez votre Mont-Blanc !

Posté en tant qu’invité par figolu:

Effectué à l’âge de 20 ans par la VN. J’avais une caisse phénoménale ce jour-là, au-delà de mes espérances (je redoutais la bielle !), ce qui m’avait permis de bien profiter de ces 36 heures en altitude . Arrivés au sommet parmi les toutes premières cordées aux premières lueurs du jour, nous avions débouché une demi-bouteille de champagne pour fêter l’événement ! (Une surprise concoctée par mon « Premier »).La moitié de la bouteille a fusé, le champ’ à cette altitude et à une heure si matinale, c’est spécial !! lol Après l’effort, un grand moment de bonheur et de plénitude d’être très haut et de dominer à 360 degrés l’immense panorama qui s’offre autour de soi.Rien que pour cela, l’aventure mérite d’être vécue !

La première fois je l’avais fait par la Brenva. La veille j’avais soloé le pilier sud des Ecrins.

Arrivée au téléphérique à 16h et montée fébrile à l’Aiguille du Midi nimbé d’appréhension : il faut que je rejoigne rapidement le refuge-bivouac du col de la Fourche pour pouvoir me reposer un tantinet car la nuit sera courte. Il va falloir partir très tôt pour l’éperon.
Au second tronçon: dommage, les nuages m’empêchent d’admirer l’éperon Frendo que j’avais gravi non sans mal auparavant (ni échappé à un bivouac improvisé à une longueur du sommet…)

A l’Aiguille du Midi, j’enfile les crampons en m’interrogeant si je n’aurais pas mieux fait, vu l’heure avancée, de continuer sur Helbronner. Je dévale l’arête, me retourne ému vers la Rébuffat, dont la magnifique teinte orangée semble à peine croyable, symbole d’un autre temps…
De nombreuses tentes sont parsemées sur le glacier. La brume masque les sommets, l’accès au pilier Gervasutti impressionne, moi qui me rappelais l’avoir remonté sur de belles pentes immaculées, la rimaye offre une silhouette grisâtre, maladive, torturée, atrophiée…

Je suis bientôt dans le brouillard le plus opaque. Merde, je me suis fait avoir comme un béjaune. Comment retrouver la Fourche dans ces conditions ? Je choisis de suivre la tranchée la plus grosse, franchis les séracs, entraperçois l’arrivée d’Helbronner; je suis trop à gauche, je vais me diriger sur Torino. Merde. Carrefour de traces. Je décide d’aller à droite, monte. Le brouillard se déchire quelque peu, j’aperçois la Tour Ronde, je dois être en train de remonter la voie normale !

Je désespère, redescends, me dis que tant pis, je dormirai à Torino et verrai demain quand par miracle, ouf, le rideau se déchire, je me situe correctement, distingue au loin les bonnes traces à proximité du Grand Capucin. Il est 19h. Il faut faire vite. 3 alpinistes sont devant, ils remontent vers Ghiglione. Que faire, les suivre ? De là un départ est possible. La Fourche doit être plus à droite. Je continue, suis les traces, sors mes marteaux-piolets, remonte la glace pourrie jusqu’au col et débouche sur la fine arête séparant les deux bassins. Le vent frais fouette mon visage. C’est assez vertigineux et impressionnant. Nul bruit. Putain, où est le refuge ? Rien à droite. A gauche, ouf, juste là à 10m je distingue un monceau du toit de la carcasse métallique. Comment ont-ils fait pour envisager et bâtir sur un endroit aussi escarpé et aérien ?

Surprise: c’est encore plus petit que je l’imaginais; une vraie boîte de sardines ! Je n’ose regarder le cirque de la Brenva, atteins la passerelle qui fait le tour du refuge. Je ne suis pas seul. Un bonjour et un rapide coup d’oeil à l’intérieur. Quelle exigüité ! 4 couchages en bas, autant en haut, tous pris, et un mini banc devant une étagère parsemée des ustensiles et reliefs de mes congénères !
On me répond à peine. Tous allongés, ils se reposent et moi à 20h10 je n’ai pas encore mangé !
C’est fou de n’avoir quasiment rencontré personne sur des km2 arpentés et me retrouver asphyxié par cette promiscuité…

Fébrile, je prépare mes pâtes, m’aperçois que j’ai toujours les crampons aux pieds! Ce seront les pires spaghettis jamais cuisinés, collants, infects, mais qu’importe, je n’ai guère faim, il faut pourtant que j’aie des sucres lents. Je ressors en griller une pour enfin voir à quelle sauce je vais être mangé. Un portable sonne ! ça passe, lol. J’entends qu’ils iront à la Küffner. Ce qui m’isole davantage… Je redoute d’être tout seul pour pénétrer dans ce sanctuaire austère que recouvre un linceul immaculé et où le soleil a disparu.

Une nature sauvage, écrue, d’une authenticité brute, l’un des trop rares endroits peu ou pas souillés par l’homme.
Putain que c’est raide vue de face et en même temps si proche. La Sentinelle Rouge et la Major ont l’air infranchissables, le Pilier d’Angle je n’en parle même pas !

Une petite trace semble traverser le glacier vers le col Moore. Il n’y a pas foule en ce moment sur la Brenva ! Mais ce semblant de trace me réconforte. J’envisage le couloir Güssfeld, raide mais rapide, puis l’arête neigeuse, les rochers terminaux et la fameuse barre de séracs. ça semble passer vers la droite. Mais de la rembarde du refuge aucune corde ne pend. Par où descendre au mieux pour rejoindre le glacier ?

Je croyais qu’une corde fixe était attachée à demeure lol. A droite ? Plutôt à gauche. Heureusement que je me suis muni d’une corde. Le rappel sera court (elle fait une petite quarantaine de m), mais le bas semble se désescalader plus aisément. Un dernier coup d’oeil. Je rentre dans l’abri, me trouve un coin à gauche où m’allonger contre le mur, m’enroule dans un semblant de couverture. J’ai les pieds trempés. Je sais que je ne dormirai pas. Qu’importe. Il s’agit de prendre quelques repos en outrepassant les ronflements, borborygmes de mes bruyants voisins qui trahissent leur quiétude, sérénité. Moi, j’essaie de tempérer les battements sourds, trop rapides qui me martèlent les tempes, ceux d’une bête aux abois qui attend l’hallali…

J’ai un peu froid à 3600m. J’ai le sentiment de m’être à peine allongé quand un réveil se fait entendre. Il est 23h, 2 grimpeurs se préparent pour la Küffner. Ils font un de ces bordels avec la structure métallique qu’ils réveillent tout le monde. On dirait qu’ils démontent l’abri ! Hilarité passagère. Puis tout retombe dans un silence oppressant… De temps en temps je consulte ma montre: minuit trente, puis 1h. Je me décide à me lever. 2 Allemands font de même, et ne se gênent pas pour me souhaiter bon appétit avec leurs pets sonores ! (Ah, la légendaire discrétion germanique… Deutschland über alles !). J’essaie de prendre le maximum de liquide, mange un bout puis sors sur la rembarde auréolée du clair de lune. Quelle vision fantasmagorique !

2 petites lumières vers le col Moore, 2 autres tout en haut de la Brenva: ils ont dû partir de Ghiglione, mais à quelle heure ? Je sors mon brin de corde, prépare mon rappel, descends une vingtaine de m, le rappelle, love la corde puis désescalade le couloir de glace mêlée de rochers. Le regel a l’air médiocre. J’arrive au bord de la rimaye, assez bien bouchée. Je la saute puis me retrouve sur le glacier que je traverse à la lueur de la frontale, aidé de cette nuit étoilée et de cette quasi pleine lune.
Je remonte en direction du couloir Güssfeld, nulle trace, je franchis la rimaye que recouvre une fine pellicule de glace noirâtre striée de fissures laissant apercevoir l’abîme, il ne fait pas bon y rester: j’accélère le mouvement et remonte quatre à quatre le couloir. Les piolets ancrent bien, c’est tantôt débonnaire, tantôt il faut s’y reprendre quand la glace éclate en assiettes.
Soudain, un craquement sinistre, le temps et le souffle s’arrêtent, un ange passe, puis un autre, rien ne tombe. Que le plus pur silence, assourdissant. Certainement un sérac qui gémit dans son carcan et n’aspire qu’à se libérer de son étau pour une formidable glissade et tout balayer sur son passage… J’accélère pour retrouver enfin l’arête salvatrice. Le couloir est derrière moi. Je fais une pause, prends un berlingot ce qui me rappelle mes ravitaillements d’antan. Je distingue de la lumière au refuge et sur le glacier vers Aoste. Ici règne le silence d’une église romane à l’heure des matines dans cette ambiance spectrale, mystérieuse,austère, envoûtante.

Je reprends la route, galvanisé par le véritable escalier que distingue le halo de ma frontale, mais la neige fait bientôt place à la glace et les traces sont parfois indistinctes. Qu’importe, c’est une arête, il n’y a qu’à suivre sur le côté gauche.

Bientôt l’arête devient plus effilée, une pensée émue pour les pionniers qui au siècle dernier s’y sont engagés en tricounis à califourchon ! Je continue pour monter en direction de l’îlot rocheux supérieur que j’atteins sous la barre de séracs. C’est marrant, je reconnais la physionomie de la photo du Rébuffat d’il y a plus de quarante ans. ça ne change guère, mais c’est très redressé. Je cherche l’anneau de rappel pour descendre plus bas et traverser. Il n’y en a pas. Je choisis de traverser horizontalement sous les séracs: c’est engagé au début, il faut être vigilant. Puis c’est plus facile, quoique labyrinthique. Il ne faut pas s’égarer dans ce dédale. Je recherche systématiquement des traces des prédecesseurs, jubile quand j’en trouve, persuadé d’être sur la bonne voie. Je retrouve bientôt 2 alpinistes italiens (décidément, à l’heure de la mondialisation la montagne est vraiment fédératrice: 3 cordées rencontrées sur mes 2 courses, 3 nationalités différentes, sans compter mes amis teutons du refuge !), je les dépasse pour sortir l’ultime sérac.

L’aube point, c’est la transition entre la montée nocturne des difficultés et la marche facile vers le sommet, nimbé d’une lumière de plus en plus vive, avec le lever du soleil pourpre sur tous les pics à perte de vue. De partout des cordées montent venant du Maudit. La tension retombe, je prends des photos puis m’engage sur les 500 derniers mètres. Le vent glacial me cingle le visage, je visse davantage mon bonnet sous le casque et rabat le capuchon de ma veste. Le contraste est saisissant quand on remonte face à ce vent qui fait parfois tituber de face et pousse de l’arrière.
La molette de mon Minox est quasi gelée, tant pis pour l’ouverture du diaphragme (hélas, les dernières tofs ne donneront rien, seul bémol dans cette course , mais elles resteront à jamais gravées dans ma mémoire).

Encore quelques pas, le sommet de notre bon vieux continent est là, il est 6h30. J’aurai mis 4h30 depuis la Fourche. Il y a encore peu de monde. L’impression de plénitude est totale, tout est dégagé. L’altitude est légèrement ennivrante, c’est l’ivresse des sommets, mais sans malaise, le bonheur d’accomplir un rêve de gosse en foulant le toit de l’Europe. La vision d’effroi de la veille cède devant les douces pentes de l’arête des Bosses. Mais il fait vraiment très froid, je ne reste qu’un quart d’heure, photographie en pure perte mes « ouvre-boîtes » sur un fond de paradis, et m’engage sur la (trop) longue descente sur Vallot puis l’arête du Goûter, en croisant les hordes de la voie normale.
Il me faudra encore 5h d’efforts pour retrouver Chamonix (regrettant de ne pouvoir skier cette belle poudreuse que n’auraient pas désavoué tous les freeriders !) via le Nid d’Aigle et les Houches, et donc passer de l’état le plus sauvage à la civilisation, mais en ayant approché la quintessence de l’Etre Suprême qui comble, enrichit, transfigure, emplit de vérité, et donne la clé de cette aventure intérieure, dans cette quête du Graal, de l’essentiel, de l’indicible, du Je. L’alpiniste s’élève dans tous les sens du terme, ce n’est pas « un conquérant de l’inutile », il exsude sa plus profonde entité…

Posté en tant qu’invité par figolu:

Oxygène, tu as véritablement un talent de narrateur, voire d’écrivain de montagne.Un grand bravo sincère pour l’entreprise réalisée et pour ce récit.Tu mets la barre très haut ! :slight_smile:

Posté en tant qu’invité par bern88:

Sommet fait d’abord lors d’un WE ski de rando, et avec une chaussette et un sac pour peaux de phoques à chaque main en guise de gants vu qu’on m’avait piqué les miens au refuge des mulets… Heureusement qu’il faisait beau et pas très froid !
Deuxième fois dans le cadre d’une traversée mémorable en un jour de Durier aux Cosmiques via la Bionnasssay, du coup nous étions 4 au sommet, bien après les autres, quoi… et pour ma part tellement déshydraté que même la soupe avait du mal à passer dans mon gosier bien sec…

[quote=« oxygène, id: 1659622, post:3, topic:146995 »][/quote]
Merci pour ce récit, à la fois criant de vérité et emprunt d’humilité. Un grand moment d’émotion que cette lecture.

Merci figolu et Tintin, ravi que ça vous ait plu :slight_smile:

Magnifique récit en effet.
Il me touche car la Brenva était pour moi un rêve de gosse, course mythique dont je n’avais entendu que les récits de quelques maîtres anciens, les mêmes qui m’ont appris à m’attacher les crampons.
Quand j’ai vu la Brenva par première fois lors de mon premier voyage dans les Alpes, avec une révérence infinie j’ai pensé à toutes ces histoires et je me suis dis que je ne serais jamais capable de gravir une telle course.
Ton récit évoque vivement en moi, les souvenir que je garde de quand je l’ai fait, bien d’années après.
Merci.

il faisait froid, il y avait du vent, nous étions seuls au sommet (et sur la montagne) jusqu’à ce qu’un [censuré] d’hélico vienne nous tourner autour : bienvenue à chamonix…

Perso, je l’ai fait avec ma petite femme l’année dernière et j’ai écrit un petit texte : le Mont blanc en Amoureux

Un de me meilleurs souvenir de montagne !

Ma première ascension du Mt Blanc, c’était à ski il y a pas mal d’année, ma bonne dame, oulala !!! Je vous la raconterais bien, mais comme tout s’est bien passé et qu’à l’instar des peuples, les ascensions heureuses n’ont pas d’histoire, il n’y a donc rien à raconter.

[quote=« baghirati, id: 1659717, post:9, topic:146995 »]

il faisait froid, il y avait du vent, nous étions seuls au sommet (et sur la montagne) jusqu’à ce qu’un [censuré] d’hélico vienne nous tourner autour : bienvenue à chamonix…[/quote]

Laisse-moi deviner. Vous êtes arrivés au sommet à 23h et ça faisait quelques heures que l’avis de recherche était lancé.

Oxygène! Wahou…
C’est le genre de récit qui pourrait me faire changer d’avis et me permettre de me lancer dans l’aventure…
Un peu marre de lire les frasques people de la VN…

Très classe ton récit Oxygène. Bravo.

Pour ceux qui ont envie de lire, j’ai écrit un petit récit l’été dernier après mon premier Mont-Blanc. Le voilà :

Récit d’un voyage en altitude.

Voilà environ 15 ans que je pratique la randonnée, et 5 ans que je fréquente la haute montagne. D’abord 10 ans d’une observation « gourmande et envieuse » des hauts massifs alpins, Mont-Blanc, Valais, Ecrins etc., à apprendre à reconnaitre les sommets, les nommer, comprendre et identifier leurs voies d’accès.
Puis 5 ans à les côtoyer de plus près, à fouler ceux qui voulaient bien m’accueillir, à respecter aussi ceux qui ne voulaient pas de ma présence.
Un point commun à tous : le Mont Blanc, cette forteresse visible des 4 coins des Alpes. Jusqu’ici, cette forteresse était pour moi imprenable, pour plusieurs raisons : deux voies normales françaises dangereuses et sur-fréquentées que je refuse d’emprunter, une voie normale italienne qui nous a rejetée trop rapidement l’été dernier, une multitude de voies trop voire beaucoup trop difficiles et engagées pour notre modeste niveau.

L’histoire de cette semaine mémorable commence samedi 10 août. L’objectif de cette première semaine alpine est d’aller gravir deux sommets valaisans avec papa. Les prévisions météo pour les 3 jours à venir sont bonnes et nous nous mettons donc en route direction Saas-Fee, dans le Valais suisse. La montée au refuge se passe comme prévu sur un joli sentier, puis la montée vers le Lagginhorn (4010m) le lendemain matin fut plus longue et difficile que prévu. Nous entamons en début d’après-midi la montée vers le second refuge, mais le physique et la longueur de la course du matin pèsent lourd, et à notre grand regret nous rebroussons chemin et rentrons au « camp de base » des Gets.

Le lendemain est beau et une petite randonnée en moyenne altitude nous occupe une partie de la journée. En rentrant, je consulte les prévisions météo, elles sont bonnes pour le reste de la semaine. Et en début de soirée, comme prévu, je téléphone à Laurent pour prendre connaissance de ses plans et disponibilités. Il est dispo du 15 au 17 août. 3 jours ? Pas besoin d’une longue discussion pour trouver un objectif. L’itinéraire royal au Mont Blanc (4810m) nous fait rêver, et serais pour moi une occasion unique de toucher du doigt mon rêve de Mont Blanc. L’hiver prolongé permet à l’itinéraire d’être encore en très bonnes conditions pour un 15 août, c’est-à-dire bien enneigé et peu glacé. Rendez-vous est pris le jeudi 15 août en fin d’après-midi au refuge des Conscrits, au-dessus des Contamines.

Jeudi 15 août

Je me mets en route jeudi matin pour rejoindre le départ de la montée au refuge. Je la ferai seul, Laurent est parti tôt le matin pour faire un détour par le Mont Tondu que j’avais déjà gravi en 2011. L’aventure ne commence pas forcément de la meilleure façon. Ne sachant pas trop l’heure du retour en vallée le surlendemain et ne connaissant pas les horaires du Train du Mont Blanc permettant de raccourcir la descente (on rejoint le terminus à 2300m, et il nous descend à Saint-Gervais, 800m), je gare « stratégiquement » la voiture au point le plus haut des Contamines, afin de réduire au maximum la descente à pied samedi. Cette décision ne sera pas forcément la meilleure pour deux raisons. La première est que le départ de la montée vers le refuge des Conscrits n’est pas exactement ici et me demande quelques acrobaties à travers un torrent puis une montée peu commode entre sapins, branches mortes, orties etc… La seconde raison viendra plus tard.

Le début de l’ascension est agréable, à l’ombre de la forêt de l’Envers du Cugnon malgré la charge assez lourde sur le dos. Apres une bonne heure et demi, à vitesse assez élevée, je rejoins dans un premier temps le refuge de Tré-la-Tête (1970m), où je m’accorde une petite pause déjeuner.

Je repars ensuite assez lentement pour rejoindre le refuge des Conscrits (2602m), le déjeuner, avalé un peu vite, pèse sur l’estomac. Mais petit à petit, je reprends mon rythme et je dépasse beaucoup de randonneurs sur ce joli sentier, parfois assez raide, parfois un peu moins impitoyable, parfois muni de cordes pour rassurer les moins acrobates. Peu avant le refuge, une passerelle type « pont de singe » vient proposer une originalité sur ce sentier.

3 alpinistes me devancent de peu au moment de se lancer sur cette passerelle longue de 60 mètres, permettant de traverser un torrent. L’endroit vaut bien une photo. Courtoisement je leur propose de les prendre, espérant la même démarche en retour, ce qui ne tarde pas. Leur progression étant relativement aussi rapide que la mienne, je leur demande si je peux me joindre à eux pour achever la montée vers le refuge des Conscrits, ce qu’ils acceptent volontiers. Nous terminons donc les quelques centaines de mètres qui nous séparent de l’objectif du jour tous les 4 puis prenons nos quartiers dans le dortoir. Puis, s’en suit une collation saucisson, fromage, bière sur la terrasse du refuge bien sympa. Laurent nous rejoint un peu plus tard, ce qui nous donne une merveilleuse occasion de siroter une seconde bière. Nous partons ensuite dans quelques discussions d’alpinistes sur les courses de chacun, sur nos itinéraires respectifs du lendemain etc … puis rapidement l’heure du diner, puis du coucher.

Naïvement, je crois bénéficier d’un coup de pouce du destin en ayant deux couchettes pour moi tout seul, mais ce n’est sans compter l’arrivée tardive d’un dernier alpiniste.

Vendredi 16 août

La nuit n’est pas fantastique, comme souvent dans les refuges, et j’ai du mal à émerger. Heureusement je ne suis pas pressé, et j’ai tout mon temps pour prendre un copieux petit déjeuner, préparer soigneusement mes affaires et enfin, sortir du refuge vers 5h30 rejoindre Laurent qui termine de plier son camp. Les premiers hectomètres se font dans la nuit noire et j’emmène derrière moi une dizaine de grimpeurs qui comme nous veulent rejoindre l’Aiguille de la Bérangère (3425m), qui sera pour nous et deux autres cordées le point de départ de la traversée des Dômes de Miage (3673m) et pour les autres, la destination finale du jour. Au lever du soleil, nous chaussons les crampons pour commencer à progresser sur un grand névé, témoin d’un hiver particulièrement généreux en neige. Rapidement, ce névé laisse place au petit glacier de la Bérangère, puis aux quelques rochers qui permettent d’accéder au sommet. Nous prenons le temps de contempler ce paysage magnifique, de se restaurer un peu, de prendre quelques photos, avant de reprendre notre route. Nous descendons d’abord de quelques dizaines mètres pour atteindre le col de la Bérangère (3348m), avant d’entamer la montée vers le premier des 5 Dômes de Miage, dans la foulée nous enchainons le second et le troisième. Nous croisons jusqu’ici énormément de cordée parties du même refuge le matin, mais ne faisant « que » la traversée des 3 Dômes, dans le sens inverse. Puis la solitude tant recherchée réapparait puisque nous ne sommes plus que 3 cordées sur la traversée des 2 derniers Dômes.

Nous avançons groupés, une cordée de cinquantenaires locaux bien en forme, une cordée de trentenaires parisiens et nous. La présence d’une cordée locale, et leur sympathie, nous est très agréable afin de ne pas perdre trop de temps à trouver les points clefs de la course, notamment l’anneau de rappel pour descendre du dernier Dôme vers le refuge Durier (3389m). Nous faisons donc effort commun avec nos collègues pour mettre en place le rappel, puis nous nous remettons en route pour les derniers efforts. Nous arrivons en milieu d’après-midi au refuge après 9h de course, en mode « économie d’énergie ». Nous avons le temps et nous le prenons, nous aurons besoin de toutes nos ressources physiques le lendemain. Le refuge Durier est un vrai petit paradis pour montagnards en quête de solitude, de paysages sauvages et d’esprit alpin. Nous commençons par la traditionnelle procession d’enlèvement des chaussures et enfilage des Crocs, si souvent à disposition dans les refuges et si agréables ! Nous réveillons Manon, la sympathique gardienne, car nos gorges crient soif ! La bière est salvatrice. Nous passons ensuite le reste de l’après-midi à nous reposer, discuter de l’itinéraire du lendemain, implorer la météo, faire connaissance avec Manon qui garde ce refuge si atypique depuis 4 ans. Une cordée nous précédait au refuge (un guide et son client), 2 autres cordées (une de 2 et une de 3 nous rejoignent dans l’après-midi). Nous sommes désormais 13 alpinistes là-haut (un signe du destin ?), dont 12 dormiront ce soir au refuge. Encore ce soir Laurent a monté sa tente au-dessus.

Le diner est bon, copieux et convivial. Nous mangeons à 9 autour de la seule petite table du refuge. L’heure d’aller se réfugier sous les couvertures n’a pas encore sonné. En effet, un splendide spectacle se prépare dehors. Le coucher de soleil est d’un rouge flamboyant. Nous restons tous ébahis, malgré le froid qui nous pénètre peu à peu. Les appareils photos crépitent pour rendre éternelles ces quelques minutes magiques et tant recherchées. Une dernière tâche et non la moins stressante nous attend : les prévisions météo du lendemain. J’ai plus tôt dans la journée « commandé » un bulletin météo à Cécile, ma sœur, qui est plutôt très positif, avec plus de 80% d’ensoleillement et des risques modérés d’orages en fin d’après-midi. Manon contacte le PGHM, le silence règne, on entendrait des mouches volées dans cet espace confiné. Les prévisions ne sont pas si optimistes : il y a un risque d’orage en fin de nuit et « au cours de l’après-midi ». L’optimisme général prend un sérieux coup de bambou et tout le monde s’imagine déjà devoir redescendre le lendemain matin, par le redouté itinéraire du refuge de Plan Glacier. Les derniers détails du réveil sont réglés, ce sera 4h pour tout le monde et on improvisera en fonction de la météo. Extinction des feux vers 21h30, j’ai la chance d’avoir deux couchettes pour moi. La nuit est bien meilleure que la précédente, malgré le stress des prévisions météo pas si rassurantes.

Samedi 17 août

Montée à l’Aiguille de Bionnassay

Je ne mets pas d’alarme mais l’agitation me sort de mon sommeil à 4h. Encore mal réveillé, je perçois quelques bribes de conversations, le temps est beau ! La nuit est étoilée, pas un nuage à l’horizon ! J’envoie un texto à Laurent qui dort 20 mètres plus haut. J’arrive dans 30 minutes ! L’excitation me gagne, elle gagne les 12 alpinistes du refuge. Nous visons tous la traversée Bionnassay – Mont Blanc. Tout le monde s’affaire au pliage des couvertures, à la méticuleuse et très importante préparation du sac à dos, pendant que Manon nous prépare un copieux et délicieux petit déjeuner. 4h15, à table. Une tartine de plus que d’habitude, un bol de céréales en plus, il faut se nourrir, la journée va être longue, difficile et il nous faudra des réserves. Derniers préparatifs, et je monte rejoindre Laurent à son bivouac, il est prêt. Le guide et son client nous devancent de quelques minutes, on ne les reverra pas. Nous partons donc en peloton de 5 cordées, 11 personnes en tout, il est 5h et la nuit n’a pas encore décidé de s’effacer. La sente monte sans répit au-dessus du refuge, les cairns nous aident à rester dans la bonne direction. En queue de peloton au départ, Laurent et moi sommes bien en jambes et nous rejoignons le premier névé dans les premières positions du groupe. Motivés comme jamais, nous chaussons les crampons rapidement, et nous nous encordons dans la foulée. Nous prenons pied sur la neige encore gelée les premiers, suivis des 4 autres cordées. La progression est efficace et rapide. Nous atteignons vite le premier épisode rocheux, pour lequel il nous semble plus prudent de déchausser les crampons. Les autres cordées feront le choix inverse. Nous perdons un peu de notre avantage mais cela ne nous intéresse finalement guère. Nous rechaussons quelques centaines de mètres plus tard pour le second névé. Pour la première fois, nous passons sur le fil de l’arête, neigeuse pour l’instant. Faux pas interdit, sinon c’est la chute vers des crevasses béantes et affamées 200m plus bas. Très vite nous nous présentons au pied d’un impressionnant bastion rocheux qui nous barre pour l’instant l’accès au sommet. Nous avons lu et retenu le topo.

Malgré la tentation de continuer sur la neige le plus haut possible, il faut entamer l’escalade rapidement sur le fil de l’arête, rocheuse cette fois. En meilleur et plus expérimenté grimpeur, Laurent prend la tête de la cordée. Nous laissons rapidement passer nos amis cinquantenaires qui à nouveau ont l’avantage de connaitre le terrain. Encore une fois c’est une aubaine pour nous, mais leur rythme est bien plus élevé que le nôtre et nous perdons leurs traces. La première partie de grimpe est difficile et engagée physiquement. Le rocher n’est pas très bon, il faut tester ses prises avant de s’y tirer. Bertrand et Agnès, en grimpeurs habitués sont aussi plus rapides que nous. La seconde partie de l’éperon rocheux devient moins raide et nous progressons en corde tendue, plus rapidement. Tranquillement nous atteignons le haut du ressaut, rechaussons les crampons et remettons les gaz vers le sommet qui nous tend désormais les bras. Didier, Franck et Agnès nous y devancent de quelques minutes et profitent déjà du magnifique lever de soleil. La forme est présente, et nous n’avons besoin que de 10 minutes pour rejoindre le sommet de l’Aiguille de Bionnassay (4052m), dont l’esthétisme depuis la vallée nous a toujours émerveillé.

Comme prévu, le sommet est étroit, très étroit et la moindre erreur serait fatale. Quelques clichés, une collation rapide et nous repartons. Notre retenue ne nous permet aucun excès d’optimisme, et ne nous autorise aucune certitude. Cependant, intérieurement, je le sais, je le sens, le Mont Blanc est à notre portée. Nous avons tenu l’horaire jusqu’au sommet de l’Aiguille de Bionnassay, il est à peine 8h, la météo est au beau fixe et les passages techniques sont derrière nous. Il me semble que rien ne nous arrêtera, d’autant que notre physique est à peine entamé. Laurent n’a aucun mal à supporter le poids de son sac.

Traversée vers le Dôme du Gouter

Sans tarder nous entamons la descente de l’Aiguille de Bionnassay vers le col éponyme. L’arête neigeuse est effilée, cornichée, et plus que jamais, nous ne pouvons pas nous permettre le moindre écart. La concentration est à son maximum. Heureusement la trace est bonne et nous n’avons qu’à suivre les pas de ceux passés les jours précédents. Les deux cordées qui nous précédent sont déjà passées mais nous les rejoignons au col de Bionnassay (3888m) et nous cheminons ensemble jusqu’au Piton des Italiens (4002m) et le Dôme du Gouter (4304m). Le paysage est d’une beauté rare et éblouissante, le cheminement d’une classe que nous n’avons encore jamais côtoyée. Et la forme physique ne nous quitte pas, rien ne peut plus nous arrêter. Nous rejoignons la voie normale du Mont Blanc au Dôme du Gouter vers 10h30. Cela fait 5h30 que nous sommes partis, nous sommes détendus, le sommet ne peut nous échapper. Alors une pause casse-croute s’impose en compagnie de Didier et Franck. Bertrand et Agnès suivent de près, mais choisissent de continuer jusqu’au refuge Vallot (4362m). La suite des évènements montrera que ce choix fut judicieux. Frappée par un mal des montagnes, Agnès a besoin d’un coup de boost au moral pour y croire encore. Et atteindre le refuge-bivouac Vallot en est assurément un.

Sommet du Mont-Blanc

Nous repartons du Dôme du Gouter en compagnie de Franck et Didier qui tiennent eux aussi encore une forme remarquable. Le sommet tant espéré est à 1h30 de nous. Je repars en tête, j’imprime un rythme assez soutenu mais régulier, permettant une progression efficace, sans pause, mais sans se mettre dans le rouge. Laurent est bien, le physique tient sans problème. Nous enchainons Vallot, les trois bosses, les deux ressauts neigeux terminaux. Ca y est, nous sommes sur l’arête finale ! A quelle distance est le sommet ? Je n’en sais rien, Laurent est déjà passé quelques années auparavant, mais moi non. 5 minutes ? 10 minutes ? 30 minutes ? Peu importe, je savoure, j’ai un sourire à m’en décrocher la mâchoire, je frissonne ! On a réussi cette si belle course. Et soudain, l’arête s’aplani lentement, la plateforme sommitale s’élargie, Chamonix est si petit là en bas. Rien n’est plus haut que là où nous posons actuellement nos crampons ! Le sommet ! Quel bonheur. Une accolade, quelques photos, un morceau de chocolat.

Descente

Et puis la descente. Il est 12h30, nous sommes à 4810 mètres au-dessus du niveau de la mer, et nous devons rejoindre le Nid d’Aigle, 2500 mètres plus bas. La première partie de la descente, jusqu’au refuge du Gouter (3835m) se fait relativement vite, dans cette neige douce et molle. Nous croisons les 3 autres cordées qui luttent pour nous succéder au sommet. Agnès et Bertrand sont dans les derniers hectomètres, Franck et Bertrand suivent de près et Vincent et Christophe, moins acclimatés, sont un peu plus loin mais verront eux aussi la cime. Nous prodiguons encore quelques encouragements avant de tirer notre révérence vers le bas. Nous croisons tour à tour des prétendants au sommet en jean, sans lunettes de soleil, sans corde, sans crampons. Nous sommes sur la voie normale de descente et nous devons nous replonger dans la réalité. Le Mont Blanc par ses voies normales françaises est une usine, une autoroute. Jusqu’au refuge du gouter, nous avons encore tout le loisir de contempler une grande partie de l’itinéraire emprunté. La face Nord de l’Aiguille de Bionnassay nous impressionne et l’ombre des corniches de l’arête Est que nous avons empruntée plus tôt se reflète parfaitement sur cette face. La fin de la descente est pénible dans les rochers et le sable de l’Aiguille de Bionnassay. Peu avant le refuge de Tête Rousse (3167m), il nous faut traverser ce couloir, tant redouté, du Gouter. Il n’est pas rare que les pierres y dévalent. Notre bonne étoile nous accompagne encore et nous passons sans encombre la dernière difficulté de la journée. Il nous reste 800 mètres de descente que nous ferons sous une alternance de soleil et de nuage, parmi les bouquetins, toujours dans le sable et la rocaille.

Avec une joie non dissimulée, nous apercevons enfin le train du Mont Blanc, qui nous permettra en échange de 26 euros par personne de descendre de 2300 m à 800 m en plein cœur de Saint-Gervais. Coup de chance final, nous arrivons pile pour le train de 17h50, et nous évitons 1h05 d’attente. La descente est longue mais cela ne nous dérange plus, nous pensons à la bière qui nous attend en bas. Arrive à la gare de Saint-Gervais, il nous faut encore remonter aux Contamines. Nous demandons donc un dernier effort à nos jambes fatiguées pour se rendre à l’arrêt de bus le plus proche. Il est 19h20 et nous montons à bord. La dépose s’effectue au centre-ville des Contamines. J’évoquais en préambule une « seconde raison » pour laquelle la décision « stratégique » de garer la voiture au point le plus haute des Contamines n’étaient pas la bonne. La voilà … en effet, nous n’avons guère d’autre choix que de remonter à pied les 200 m de dénivelé qui séparent le centre des Contamines à la voiture. Damned. 20 minutes plus tard nous sommes enfin au bout de nos efforts. Une bière et un burger/frites viennent clôturer cette belle aventure entamée deux jours plus tôt.

Posté en tant qu’invité par elbilloutte:

Avril 2007
La météo a l’air d’être formelle : beau temps stable prévu pour au moins une semaine.
Le seul problème c’est que je n’ai pas de partenaires pour cette ascension.
Après réflexion ma décision est prise : j’irai seul. J’avais bien mesuré l’étendue de mon engagement. Du solo j’en avais déjà fait dans du niveau technique équivalent.
Je connais bien la voie normale pour y avoir été une fois au mois d’aout lors d’une tentative avortée et une autre fois en redescendant de la traversée Bionnasay. Pour cette dernière course on voulait pousser jusqu’au mont blanc mais mon partenaire commençait à avoir des signes du mal des montagnes. On s’est donc orienté vers la descente à partir du col du dôme : le mont blanc ce sera pour une prochaine.
Je me décide donc pour la voie normale que je connais : je minimiserai les risques.
Après quelques jours d’acclimatation me voilà en route dans le fameux tramway du mont blanc qui s’arrête bien avant le nid d’aigle : on est quand même hors saison. Dedans je regarde les passagers a la recherche d’éventuels montagnards ayant eu la même idée que moi . En descendant au terminus je dois me rendre à l’évidence : je suis le seul à emprunter le chemin du refuge, la tension monte.
Me voilà donc en train de longer les rails jusqu’au nid d’aigle. Pour l’instant ça roule, après en effet plus d’une semaine de grand beau la neige a bien transformé et je ne m’enfonce pas (heureusement car je n’avais pas de raquettes !).
J’arrive enfin au refuge de tête rousse. Terminus pour aujourd’hui. Pas âme qui vive dans le coin et il n’y a pas de trace qui part de tête rousse vers le refuge du gouter : ce n’est pas grave, je connais le chemin !
Lever vers 1h du matin, la voie vers le refuge du gouter n’est pas si évidente. Je déblaye beaucoup car tout est caché sous la neige : cette montée s’apparente plus à du mixte qu’autre chose.
Refuge du gouter, la porte est ouverte, je décide d’y entre histoire de faire une petite pause. La forme est là, le beau temps également et toujours pas âme qui vive ! C’est incroyable comment un refuge aussi fréquenté en saison peut se retrouver aussi mort, j’ai l’impression de ne pas être au même endroit.
J’attaque la montée du dôme tout va bien côté forme physique mais la pression monte. En effet je suis maintenant seul sur un glacier à plus de 4000 m et je me rends compte que je brave les 2 interdits fondamentaux de la sécurité sur glacier : ne jamais partir seul et toujours être encordé !
J’arrive enfin au col du dôme avec un évènement assez inhabituel depuis 2 jours : je croise des gens ! Ces personnes sont des skieurs qui étaient certainement partis des grands mulets. Je suis donc leur trace. La forme est toujours là et puis j’arrive au sommet avec 5 ou 6 autres skieurs (je suis toujours le seul à pied !). Moment d’émotion, il ne fait pas trop froid pour la saison (ma bouteille de coca a quand même gelé depuis l’abri Vallot) et je peux contempler le paysage sereinement.
Puis vient le temps de la redescente et de nouveau la tension monte : je me retrouve complètement seul dès le col du dôme. Je suis donc mes traces jusqu’au refuge du gouter puis tête rousse. Ça y est c’est fait !
Avec le recul je me dis que c’était une sacré expérience et peut être un jour je referai du solo. C’est clair que l’on est dans un certain état d’esprit assez indescriptible qui est très différent de celui quand on est encordé et c’est à vivre au moins une fois (en ayant bien sur mesuré toutes les risques d’une ascension en solo) mais ayant muri je me dis somme toute : le plaisir ne vaut vraiment que si il est partagé !

Posté en tant qu’invité par figolu:

Il faut bien reconnaître qu’il y a un petit côté grisant à partir en solo.Outre le gain de temps considérable, il y a le plaisir inavoué d’enfreindre la règle du « jamais seul, toujours encordé ». :stuck_out_tongue:

Posté en tant qu’invité par elbilloutte:

euhhh franchement non! ça a été au contraire là ou j’ai pris le moins de plaisir car même très concentré et préparé c’est une putain d’épée de Damoclès : même les meilleurs (guides) se font parfois pièger!
après en dehors de la partie glaciaire (arrête, approche) : que du bonheur!
Conclusion solo : oui mais pas sur parcours glaciaire : ça élimine déjà un problème!

Eté 1986, année du bicentenaire de la 1ère ascension. 200 ans d’Histoire de l’Alpinisme avec un grand A, 2 mois depuis mon seul et unique stage UCPA à Chamonix. Quelques mois avant, lors d’une tentative d’escalade à la Martinswand avec mon camarade Jean-Marc, nous avions dû demander de l’aide aux grimpeurs avoisinants pour fermer nos baudriers et faire un noeud de huit…le pied de la voie s’était du coup vidé comme par enchantement, personne n’ayant sans doute envie de voir un débutant s’écraser à ses pieds. Enfin bref. C’est la fin de l’été, la dernière semaine de vacances, nous sommes fauchés comme tout bon étudiant mais jeunes et dévorés d’ambition, persuadés d’être devenus de vrais alpinistes. Bref un assaut au Mont Blanc est incontournable pour inaugurer sérieusement une liste de Grandes Courses. Jean-Marc a pu obtenir l’appartement de ses parents à Argentière, d’où nous fomentons notre hold-up. La météo placardée devant l’OHM, seule source d’info en ces temps préhistoriques pré-internet et pré-smartphone, indique du soleil le surlendemain, nous ne prenons même pas la peine de lire la suite du bulletin (qui devait annoncer un truc du genre -10° à 4000m avec fort vent du nord…), les sacs sont bouclés dans l’euphorie, la 4L garée sur le parking du téléphérique de Bellevue et l’aventure peut commencer. On ignorait alors qu’il nous faudrait pas loin de 48h pour revenir au même endroit.

1ère d’une (longue) série de mauvaises surprises à l’arrivée de Bellevue sur les coups de midi (no comment) : pas de convoi TMB pour le Nid d’Aigle avant 15h. J’avais certes consulté les horaires, mais ceux de juillet-août, n’ayant pas imaginé que la fréquence serait réduite dès le 01/09. Il faut se résoudre à partir à pied pour encaper les 2000m de montée. Bah on est jeunes et costauds, le Grand Couloir est plutôt paisible en cette fin d’après-midi frisquette, et pour finir nous poussons la porte du refuge vers 18h. Pousser est bien le mot : il doit déjà y avoir au moins 200 personnes à l’intérieur. « Vous avez réservé à quel nom » - « Euh, il fallait réserver ? Je croyais qu’un refuge c’était toujours ouvert à tout le monde… ». Bref on s’installe comme tous les autres clandestins sous une table pour sortir les vivres et préparer le repas. « Bon JM, c’est toi qu’à le réchaud » - « Ben non, tu as dit que tu prenais le tien » - « … » - « Ben, c’est pas grave, on va demander au gardien de nous cuire les pâtes, ils font ça d’habitude » - « Bonne idée, tu sors les pâtes » - « Comment ça, c’est toi qui devait les prendre » - « … »

Bref le bilan est vite fait : pas de place pour dormir, pas d’argent pour payer un repas, pas de vivres. Le gardien secoue la tête de résignation, puis pris de pitié accepte de nous cuire un plat de pâtes pour 10 francs de l’époque. Nous tentons ensuite de fermer l’oeil alors qu’un vent glacial s’est mis à mugir au dehors. Les effectifs ont encore augmenté, selon le gardien nous serons plus de 250 (pour 125 places) ce soir là. Il y a en a sur les tables, sous les tables, sur les bancs, sous les bancs, dans les toilettes, sous les lits…une promiscuité digne d’un camp de réfugiés (et encore). Il suffit de lever un bras pour retrouver une jambe dessous en le reposant, de se retourner pour se faire bloquer sur la tranche…le calvaire s’achève vers 3h du matin, nous grignotons quelques biscuits ayant échappé à l’oubli collectif avant de prendre la direction du sommet.

Le ciel est effectivement dégagé, mais il doit faire - 15° avec un vent soutenu qui balaye l’arête menant vers le Dome. Les extrémités gèlent les unes après les autres : les mains (j’avais trouvé malin de faire des économies en rapiéçant de vieux gants de skis pourris), puis les pieds (ah les Super Guide en cuir serrées à bloc par les lanières des crampons), le visage. Je ne sais pas par quel miracle nous sommes arrivés au sommet 4h plus tard, je ne suis pas sûr de m’être jamais infligé autant de souffrance que ce jour là durant les 25 ans de montagnes qui ont suivi…La photo de JM frigorifié évoque un peu la célèbre image d’ Hermann Buhl de retour du Nanga Parbat. Nous fuyons rapidement cet endroit hostile pour revenir rapidement à la jonction des itinéraires du Goûter et des Grands Mulets (ce dernier est encore très fréquenté à l’époque). Le vent est tombé, on ne sent certes toujours pas nos mains et nos pieds mais au moins la température au soleil est-elle redevenue supportable. « Tiens, ces traces, ça doit être l’autre Voie Normale. Et si on descendait par là, ça changerait, tu trouves pas ? » - « Ben ouais, pourquoi pas. Mais tu connais l’itinéraire ? » - « Non, mais il parait que c’est facile et puis il n’y a qu’à suivre les traces ! ». Les concepts de « Jonction crevassée », « fin de saison = glaciers ouverts », « glace vive = plus de traces » ne nous avaient évidemment pas effleuré l’esprit.

Nous arrivons sans souci au voisinage du Refuge, mais en dessous, comme on pouvait s’y attendre, les choses se gâtent rapidement : la Jonction est un invraisemblable champ de mines criblé de trous ou zigzague la vague trace des quelques idiots ayant choisi de passer par là en cette fin d’été bien sèche. Coup de chance, des chasseurs alpins ont été envoyés en exercice pour aménager le passage à coup d’échelles, soit pour préparer une expé militaire dans le Khumbu, soir plus probablement pour éviter un héliportage massif des idiots en question. On finit par sortir du guépier, mais il faut ensuite zigzaguer sur les bosses de glace vive de la langue de Taconnaz (« ben merde alors, ya plus de trace ! »). Entre la fatigue, notre absence complète de sens de l’orientation (et de carte, bien sûr) et notre technique glaciaire hors-pair (je pose une broche dès que ça dépasse les 30° sur 10 mètres…), l’heure tourne…nous apercevrons finalement la dernière benne du Plan de l’Aiguille nous filer sous le nez sur les coups de 18h, à moins de 10 minutes de l’arrivée, comme de bien entendu.

Effondrement collectif du moral des troupes. Je crois que j’ai même commencé à pleurer avant de me ressaisir en me disant qu’un alpiniste n’a pas le droit de faire ça devant son compagnon de cordée. Nous entamons donc à pied la longue descente vers Chamonix. Evidemment la nuit tombe rapidement (on avait pas encore inventé l’heure d’été…). Evidemment nos frontales s’éteignent l’une après l’autre moins d’une heure plus tard (on n’avait pas encore inventé les LED). Ivres de fatigue, nous titubons de longues heures en pleine forêt dans le noir absolu avec pour seul guide les lumières de Cham à nos pieds qui refusent résolument de se rapprocher. Nous débouchons finalement hagard en bas sur les coups de minuit…

…mais l’histoire ne s’arrête pas là et on a bien sûr gardé le meilleur pour la fin. Obnubilée par le prestige social qu’allait nous conférer une telle ascension, notre petite cervelle d’étudiants (pourtant tous deux hautement diplomés !) avait omis de s’intéresser aux vulgaires questions de logistique. Bref la 4L est aux Houches, l’appartement est à Argentière, et nous sommes seuls à Chamonix au milieu de la nuit. Une bonne âme finira par nous prendre en stop 1/2h plus tard pour nous ramener au bercail. C’est en défaisant mon sac au pied du lit que je réalise que j’ai oublié le piolet quelque part dans la forêt, piolet qui avait englouti une part non négligeable de mes économies. « Bah si tu remontes le sentier demain à l’aube, personne ne sera encore passé et tu le retrouveras peut-être » suggéra mon camarade pour me consoler. Inutile de dire que je n’ai jamais entendu le réveil sonner quelques heures plus tard ! Nous passerons une partie de la journée à récupérer la voiture puis a aller faire examiner nos mains et nos pieds gonflés chez le toubib d’Argentière. « Gelures du 1er degré supérieur » sera le verdict, « vous l’avez échappé belle ». « Ca devrait passer avec des bains tièdes du liquide trucmuche 2 fois par jour durant une semaine ». J’ai toujours gardé des mains froides depuis, ceux qui m’accompagnent à ski s’étonnent à chaque fois de me voir monter les mains dans les poches dès que la température descend sous les +5° !

Au final une aventure somme tout gentille, un bon avertissement sans frais en quelques sorte…le coup de semonce suivant à la Meije passera lui bien plus près de la tragédie…

Posté en tant qu’invité par figolu:

Ce genre de mésaventure, ça nous est tous arrivé. Il y a des jours où on ferait mieux de rester chez soi :confused:
Et ton piolet tu l’as retrouvé ?

[quote=« figolu, id: 1661089, post:19, topic:146995 »]Ce genre de mésaventure, ça nous est tous arrivé. Il y a des jours où on ferait mieux de rester chez soi :confused:
Et ton piolet tu l’as retrouvé ?[/quote]

Ben non, bien sûr…bon je n’ai jamais eu le courage d’aller le chercher ! D’autant que le surlendemain, de retour en Alsace et encore crevé, j’ai explosé la 4L sur l’autoroute suisse, donc je ne suis retourné à Cham que quelques années plus tard…