Si vous avez raté le début :
1 – La montée au refuge d’Argentière
2 – Le sauvetage en crevasse
3 – La rimaye du Glacier du Milieu
4 – SOS crampons
5 – Le couloir en Y
6 – L’ascension ultime
[u]7 – La grande pente[/u]
Nos frontales éclairaient la trace, nous nous étions levés très tôt, il faisait encore nuit noire, mais il fallait absolument arriver en haut avant le soleil, il allait encore faire très chaud, même si la météo avait annoncé un léger fléchissement des températures.
Nos sacs étaient encore bien lourds car nous avions repris toutes nos affaires, cette fois-ci nous allions descendre vers un autre glacier et un autre refuge.
Philippe et Jean-François étaient un peu justes au niveau provisions car s’ils avaient prévu comme nous d’effectuer cette ascension la veille, eux pensaient redescendre ensuite directement dans la vallée. Nous avions alors mis en commun notre stock de victuailles qui était comme toujours excédentaire, il y avait encore assez pour que nous fassions encore deux ascensions depuis le refuge du Couvercle, comme prévu initialement.
Nous avions réparti les charges communes en quatre parts de poids équivalents, qui étaient composées de toute la nourriture, des gamelles et des deux réchauds.
Nous avancions rapidement sur cette partie relativement plate du glacier d’Argentière, et arrivés à la rimaye, nous avons fait une petite pause : c’est là que les choses sérieuses allaient commencer. Quelques gorgées de thé, une barre énergétique, un petit pipi, on savait qu’il nous faudrait ensuite enchaîner la montée sans arrêt.
Philippe et Jean-François ont mis un petit moment à passer la rimaye qui n’était pas si commode que ça, un peu tarabiscotée, avec différentes possibilités sur des ponts aléatoires.
Il valait mieux tester sérieusement avant de porter son poids, et le coéquipier avait intérêt à bien assurer !
Puis ce fut notre tour… las ! de par la configuration de la chose et du faible rayon d’éclairage des frontales on n’avait pas bien repéré leur manip, et on a perdu un temps fou pour passer sans doute par l’endroit le plus mauvais…
On a enfin commencé à s’élever dans la pente, en soignant bien nos appuis, Bernard tapait bien ses crampons pour me faire comme des petites marches, et moi derrière je retapais encore… En plus de tout ça, on cherchait, pour plus de sécurité, à planter nos piolets au maximum, ce qui fait que non seulement on s’épuisait mais aussi on avançait comme des escargots !
J’étais concentrée au maximum, fixant la neige et mon coéquipier devant moi, je ne savais pas du tout où en étaient nos deux amis au-dessus.
Une inspiration et poc ! un coup pour enfoncer le piolet, tap ! et tap ! les pieds, on souffle pfffff !et on recommence… inspiration poc ! tap ! tap ! pffff !
Finalement, ce n’est pas si difficile ces grandes pentes, ça demande une bonne réserve d’énergie, et de la persévérance, par contre, ça peut être un peu monotone…
« Catherine ! » je lève la tête vers Bernard : « Catherine ! on est au soleil … ! c’est hyper craignos, la neige est trop molle !!! qu’est-ce qu’on fait ? »
Au vu de ce qu’on avait lu, il ne fallait pas être là-dedans si la neige n’était pas bien regelée, et ce matin quand nous avions commencé à monter c’était déjà assez mou.
Nous le savions, pour une exposition Nord-Est, il y a une composante Est, et c’est justement le côté d’où arrive le soleil le matin, c’est pourquoi il faut monter vite pour être en haut avant les premiers rayons.
Ce qui nous inquiétait vraiment, c’est que le haut de la pente est éclairé en premier, donc plus on allait monter plus la neige allait avoir le temps de se transformer… Nous avions en mémoire le livre du refuge, et nous avons conclu qu’il fallait partir de cet endroit au plus vite.
Comme nous étions assez haut, et qu’il est plus rassurant de monter que de descendre, on a choisi de continuer, mais plus vers la droite, où quelques pierres affleuraient.
Nous avions très peu de connaissance en nivologie mais il nous a semblé que la neige tiendrait mieux à cet endroit, qu’elle était moins profonde, et que nous pourrions prendre appui par endroit sur les rochers en ne les bousculant pas trop.
Là cela ne servait plus vraiment de planter le piolet, la neige était une vraie soupe ; On s’est mis à crapahuter au plus vite, en posant le plus souvent nos pieds sur les pierres, parfois en s’y appuyant avec les mains, ce qui fait qu’on avait par moment une position quasi à quatre pattes car la pente est seulement de 45 à 50 degrés en moyenne ! Mais au moins on se disait qu’on sollicitait moins la neige au niveau des appuis des pieds, parce que là ça commençait à bien déraper !
Tout d’un coup, Bernard me cria :
« Attention ! la grosse pierre où je viens de passer ne tient pas très bien ».
Le problème, c’est que vu la configuration j’étais quand même obligée de passer un peu dessous, mais je n’ai pas eu le temps de trouver un cheminement car la pierre, comme attirée, est venue glisser sur moi, et a tapé contre mes jambes.
J’ai réussi à ne pas partir moi aussi, et je me suis retrouvée complètement bloquée avec le caillou appuyé sur mes pieds et sur mes tibias, et m’arrivant à mi-cuisses.
Bernard m’a dit : « attends, je vais bien t’assurer, tu vas pouvoir basculer la pierre sur le côté ». Effectivement, il m’a fait une assurance « béton », mais pour moi, il n’était pas question de balancer ce rocher dans la pente : la veille, deux ou trois cordées avaient émis l’idée d’aller aussi à la Nord-Est, mais en partant plus tard que nous.
Vu la forme du terrain, on ne voyait pas s’ils étaient en-dessous, en tous cas, c’est sûr que dans ce cas, je risquais de faire un superbe score de bowling, en les dégommant comme des quilles !
Je me mis à pleurer à chaudes larmes, pour moi c’était impensable, je préférais rester coincée là plutôt que risquer d’être responsable d’une hécatombe.
(à suivre…)
La suite est là : 8- L’avalanche