Posté en tant qu’invité par jl:
Suite d’une discussion précédente.
[justify]Ce témoignage, j’ai choisi de l’écrire pour que chacun puisse le lire, et que chacun puisse prendre un ou quelques détails qui l’aideront, qui sait ? peut-être, ou qui ne l’aideront pas.
11h31, la vie est belle, mais elle a failli partir ce dimanche 20 février à 11h20.
A 9h35, nous quittons Perquelin (Chartreuse) sous la neige. Il a beaucoup neigé ces 10 derniers jours, risque 4 ce jour là. Les avalanches sont d’actualités dans nos échanges. Le matin même, j’explique à des amis comment on recherche quelqu’un avec l’arva. On décide de s’exercer dans l’après-midi. Puis nous partons, eux de leur côté, ma soeur et moi vers Perquelin. Je donne à ma soeur un beuf (bandeau circulaire) en lui disant que c’est bien pratique à mettre autour du cou, et s’il y a une avalanche de poudre, on peut se le mettre devant la bouche pour éviter de se noyer. Elle a acheté son équipement de ski l’an dernier, il lui manque l’arva. Je lui dis qu’un magasin déstocke en ce moment, je lui en achèterai un.
En quittant la voiture, je décide de prendre le téléphone exceptionnellement (c’est un choix personnel de ne pas le prendre en montagne) étant donné qu’on a qu’un arva. Une autre voiture est garée au parking.
Peu avant 11h20, on sort de la forêt au niveau du col de la saulce (1500m environ). Le temps est toujours mauvais, la visibilité n’est pas très bonne, on va bientôt faire demi-tour, on fait quelques conversions pour profiter de quelques virages pour la descente avant de rentrer à nouveau dans la forêt. Je suis sur le bord gauche de la langue de neige qui doit faire une soixantaine de mètre de large, ma soeur est à une trentaine de mètres de moi.
Soudain, un très léger souffle m’alerte, et je regarde en haut : c’est ENORME, l’impression d’impuissance est au-delà de tout, je crie vite à ma soeur « Y’A UNE AVALANCHE, FAIS DEMI-TOUR … »
De panique, elle s’effondre dans la neige, mon regard est fixé par ma soeur qui ne bouge pas … un premier souffle nous atteint, très léger; je dis à ma soeur : « tout aussi bien, ce n’est qu’un souffle, ça va aller », elle me répond « j’suis là, c’est bon … » à peine elle m’a répondu, que la VRAIE arrive, la sensation de fin est là … La neige me tombe dessus, à grande vitesse, quand est ce que ça va s’arrêter ?
Par chance, ça s’arrête, je suis en bordure de l’avalanche, enseveli jusqu’aux hanches, et autour de moi, c’est le SILENCE, tout est blanc, ma soeur a disparu, je crie à tue-tête, je gueule, je l’appelle le plus fort que je puisse … en vain … je suis seul au milieu de cette atmosphère PESANTE. Dès cet instant, je crois qu’aucun de mes neurones n’est épargné. Tout, absolument tout défile dans ma tête, et je n’ai en même temps qu’un objectif : « retrouver ma soeur, il faut que je la retrouve, je la trouverai, j’en suis sûr … » Parallèlement, je suis face à la MORT, l’enneigement est omniprésent, avant l’enterrement, la nuit éternelle pour ma soeur, les cauchemars éternels pour moi. Mon cerveau est saturé et mon énergie canalisée : je me libère de la neige qui emprisonne mes pieds fixés aux skis, en tirant sur mes skis comme un forcené. Je déchausse, j’enlève les lanières, que j’avais remis sur mes skis depuis peu (plus jamais je les remettrai en monté) je plante un ski je sors la pelle et la sonde du sac à dos, j’appelle le 112 une fois, deux fois … rien, ça ne passe pas. Je suis seul AU MONDE et je dois retrouver ma soeur quelque part dessous bloquée par cette avalanche qui doit faire 100m de long sur 50 de large. Je déclenche le chrono, je me dirige vers l’endroit où j’estime qu’elle se trouvait en dernier, et je commence à sonder, je sonde, je sonde, je sonde, je sonde, je sonde (je ne peux pas l’écrire autant de fois que j’ai sondé…), j’appelle ma soeur sans arrêt, dans l’espoir qu’elle sache que je suis là, que je la cherche, que je vais la trouver, il faut qu’elle tienne bon, il faut qu’elle s’accroche, je sais qu’elle est solide … en même temps, toutes les idées noires me submergent, je sonde sur 1m à 1m50 de large, en commençant par descendre. Je me doute qu’elle n’a pas été emportée bien loin, vu comme j’ai été moi-même fixé par l’avalanche. Je ratisse la zone en remontant, en descendant etc … j’enfonce parfois toute la hauteur de la sonde et mon bras, il y a 3 à 4m de neige par endroit, quand j’enfonce autant la sonde, j’ai l’impression d’aller vers l’enfer. En même temps, cette phrase me revient sans arrêt :« je lui marche dessus, je lui marche dessus, elle est tout près de moi » et je ne peux pas m’empêcher de penser au secours qui vont arriver en fin de journée, et qui vont trouver le corps tout près, si près, si près des centaines de coups de sondes que j’ai pu mettre. Ca m’est intolérable de penser à cette éventualité … Je pense à ce qu’elle avait pu me dire juste un quart d’heure avant l’avalanche, des désirs sur sa vie future, je sonde, je sonde, je sonde sans arrêt, c’est mon seul espoir. La sonde et la pelle sont mes seuls outils pour retrouver la vie, je pense à mon arva allumé, je pense à elle dessous, et plus je sonde, plus j’ai les mains qui gèlent, malgré mes gants, elles deviennent de plus en plus insensibles, j’ai du mal à discerner les différentes sensations délivrées par ma sonde, puis SOUDAIN, c’est MOU … à 50cm environ, je sens un premier signe de vie, l’espoir est là, plus que jamais, vite, la pelle, je creuse, je creuse, j’atteints sa fixation, son pied gauche, je détache son ski, je déneige sa jambe, je plis sa jambe, elle est inerte, morte, comme un pantin … je m’attends au pire, j’imagine son visage violacé, et le reste … vite je creuse à la main vers son visage, elle me tourne la tête, je lui prends son visage et le tourne vers moi … ses yeux sont grands ouverts, hagard, vitreux, sa peau est blanche. Je lui donne tout ce que j’ai, toute mon énergie, toute ma chaleur, je lui souffle dessus, amorce un bouche à bouche, la stimule par la voix, le toucher, lui demande de me donner signe de vie, ses mains sont inertes, puis … puis … puis …
LE BONHEUR PLANE AU-DESSUS DE NOUS …
Je commence à l’entendre, tout près de moi … elle revient de près, de très près … de seulement 50cm.
Ma soeur, elle, s’est sentie mourir, puis s’est endormie jusqu’à ce qu’elle revienne à elle petit à petit quand je l’ai « réveillé ». Elle dit ne pas avoir souffert du tout, simplement, elle a regretté que sa vie, si riche pour elle, se termine si tôt, à 33 ans. Ses premiers mots ont été : « Mais comment t’as fait ?.. comment t’as fait ??? »
Après 11min15s, j’éteins le chrono, sans doute avec un peu de retard. Il s’est peut-être écoulé 7-8min entre le début des recherches et les retrouvailles.
Le soir même, on a fêté la VIE en famille, mais il a défilé un paquet d’avalanche dans les esprits la nuit suivante … Depuis dimanche 20 février 2005, 11h31, la vie ressemble à du rab … du bonus …
(Mon analyse : je pense que l’avalanche est dû à une décharge, qui a eu lieu dans la pente, bien au dessus de nous, sous les Lances de Mallissards.
Les fautes : l’absence d’arva pour ma soeur (sans doute inutile que ce soit dit !) et être sorti de la forêt.
Les réflexes : avoir été alerte, en ayant vu l’avalanche arrivée, j’ai pu localiser ma soeur avec tous les indices possibles. Laisser un ski en repérage à l’endroit ou je me trouvais initialement. Appeler les secours dès le début (pas d’bol, ça passait pas !). Déclencher le chrono (la notion de temps n’existe plus, autrement). Aller sur le lieu ou je l’ai vu en dernier. Estimer si elle a été emportée plus ou moins loin, en fonction de la densité de la neige. Sonder en bande (seul et sans arva). Donner un minimum de coup de pelle et préférer sonder (plus économique). Et l’expérience de la montagne, garder la motivation jusqu’au bout, y croire, persévérer …
Ca a été cette avalanche, dans ses conditions précises, cet endroit précis … Chaque expérience est unique. Mon témoignage n’a pas valeur de référence, c’est seulement le mien.
Très bon ski à vous tous ![/justify]